Karima (ou le petit ascenseur) par Estonius

Perdu dans mes volutes, je traverse la pluie de ce mardi midi sans même un
parapluie.
M’abriter pourquoi faire ? Je vais de plus en plus mal, ce ne sont pas
quelques gouttes résonnant sur les dalles qui augmenteront mon immense et
noire déroute ! Et de toute façon, j’ai perdu, je crois ma route !

Ce matin encore je me suis fait engueuler par ma nouvelle responsable.  » Et
je vous avais bien dis de faire comme ci comme ça, et vous n’en faites qu’à
votre tête !  » Menteuse ! Mais est-ce que je peux la traiter de menteuse ?
Et puis l’estocade :  » Je me demande si nous n’allons pas réfléchir à la
façon de faire faire tout cela par quelqu’un d’autre « .
Je ne me fais aucune illusion. La dynamique de flanquage à la porte est
engagée, et en principe ces choses là ne traînent jamais trop ! J’aurais du
me rebeller ! Je n’ai rien dis !

Et puis, je m’en fous ! En fait non je ne m’en fous pas, mais je fais comme
si je m’en foutais, pas facile de se mentir à soi-même, tout un art !

Et si je dis que je m’en fous, c’est que ce midi je mange en ville, j’ai
rendez-vous avec Christine. Tralalere reu ! Christine c’est une ancienne
collègue, une belle brune aux yeux bleus, on n’a jamais concrétisé quoique
se soit, on a faillit, on savait les risques énormes, on savait que si on le
faisait une fois on ne pourrait plus s’en passer, qu’on mettait nos couples
respectifs en péril. Alors on ne l’a pas fait ! Et maintenant on est
divorcés chacun de notre côté. Je croyais l’avoir perdu de vue, je l’ai
retrouvé sur l’intranet de l’entreprise. Cinq ans, six ans, que je n’ai pas
vu, elle a dû changer, mais moi aussi ! Je me suis fais mon cinéma dans ma
tête, envisagé plein de scénarios, et ils se terminent presque tous dans le
plumard !

Il avait plu toute la matinée, tant pis, ce n’est pas cela qui va me
décourager. Et un peu avant l’heure méridienne, miracle de la nature, une
belle éclaircie. Je fonce à la rencontre de ma future nouvelle vie.

Et j’attends ! Ah ! Ça j’adore attendre ! Un quart d’heure ! Une demi-heure,
et non seulement Christine n’est pas là, mais l’éclaircie n’est plus qu’un
souvenir et il tombe des cordes ! Elle m’avait demandé mon numéro de
cellulaire. Mais de quoi j’ai l’air perdu sous cette porte cochère, à
regarder si parfois, après tout on ne sait pas, elle m’aurait envoyé un
message.

Et bien non pas de message, ce rendez-vous devient un lapin !

Pourquoi dit-on un lapin d’ailleurs pour signifier ces rendez-vous où l’une
s’est moquée de l’un ?

Allez ouvrons une parenthèse, vous vous serez au moins cultivés en lisant
cette anecdote à l’aise
On appelait lapin au 19ème siècle un client de bordel qui malgré toutes les
précautions prises par les tenanciers s’enfuyait sans avoir justement
rétribué ses hôtes. Quant au terme  » poser  » il avait le sens général
d’attendre sans rien faire ! Ainsi on posait et on pose toujours chez le
photographe, mais on posait également en attendant son petit ami au coin de
la rue. L’expression revient un peu des temps-ci :  » qu’est-ce que tu fais,
posé là ?  »
Si ces deux références sont authentiques, il n’est pas évident que leur
association puisse expliquer l’expression. N’empêche que poser un lapin
signifie donc faire attendre quelqu’un dont on estime à tort ou à raison que
sa réputation ou son comportement ne vaut pas grand chose, et même que c’est
bien fait pour lui rajouterait Zazie ! Avec le temps ce serait donc devenu
tout simplement un rendez-vous qui n’aboutit point.

Quant au lapin lui-même, vous savez celui avec les grandes oreilles… et bien
ce mot n’était qu’une des appellations parmi d’autres pour désigner cette
bestiole ! Jusqu’au 16ème siècle, on désignait plutôt l’animal sous le nom
de conin ! Le problème c’est que ce mot désignait aussi le sexe féminin ! La
partie la plus pudibonde de la haute société de l’époque, clergé,
châtelains, naturalistes et maîtres queues tentèrent et réussirent à imposer
le mot lapin… Voici un combat bien ridicule et bien vain, car le langage
évoluant, du conin, ne resta que le con (qui en est l’abréviation où
peut-être à l’origine une variante régionale), mais ce mot à la con, n’eut
qu’un succès limité, remplacé dans nos cœurs et nos désirs par le mot
chatte. Et de savoir pourquoi le sexe de madame à de telles prédispositions
animalières est un autre débat dont je vous ferais grâce…

…et reprenons !

Quel démon m’a donc conduit dans ces rues chaudes où il m’arrive parfois de
traîner mes guêtres les soirs de grands stress ?
J’y ai noué quelques complicités avec d’accortes bougresses. Alors pourquoi
pas ? Justement dans cette rue peut-être ? Quoiqu’à cette heure ? Je cherche
ce visage connu, mais ne le découvre pas. Tant pis ! Je traîne un peu !
Mouillé pour mouillé que m’importe !
Certaines de ces femmes sont très belles, mais je n’aime pas leur beauté
froide, presque inaccessibles, trop lointaines.

Tiens celle ci, je ne l’ai jamais vu !

Mais, faut-il te prévenir ami lecteur, ce récit se poursuivra maintenant en
style tutu !

Tu m’as fait un petit sourire mutin !
Une belle brune toute de noir vêtue, mais plus genre fourrure que domina.
Tu me chuchote quelques mots d’invitation. Ton visage est coquin, tes yeux
pétillent et ton petit nez est mutin.
Je réponds par un sourire, toujours très correct, mais je continue ma route
! Non, mais dès fois !
Et puis – trou de mémoire – qu’ai-je donc fabriqué pendant cinq minutes ?
Toujours est-il que j’ai fini par revenir, et de nouveau me rapprocher.
Nous échangeons des paroles si rituelles, si banales, ton sourire est trop
craquant.
– On y va ?
Tu me fais passer devant toi dans ce minuscule ascenseur.
On a du mal à tenir à deux. Ton visage est très près de moi.
Je sens ton parfum, je découvre mieux ton beau visage exotique, tes yeux de
braise, ta peau de miel, ton sourire de fée !
Tu me fous la main sur la bite.
Je me laisse faire.
Malicieusement je te questionne :
– Tu as perdu quelque chose ?
Alors tu enchaîne sur le même registre.
– Je l’ai trouvé !
Tu me pelote jusqu’à ce que la cabine stoppe. Tu m’ouvre ta petite
chambrette ou tu fais tes amourettes. Le protocole, la chaise pour les
affaires, Quelques paroles pour te dire ce qui me ferait plaisir, je ne
suis, je pense pas très compliqué.
Et puis ce gag impossible ! Celui qu’on n’ose même pas inventer ! Tu enlève
son soutien-gorge et pendant que tes seins magnifiques se libèrent, une
petite pluie de pièces toutes neuves dégringole sur le parquet. Une pluie de
centimes d’euros !
Serais-tu, beauté méditerranéenne, une magicienne dont les seins feraient
jaillir la fortune ?
Je t’aide à les ramasser, ta poitrine dans cette position est magnifique.
Tu me raconte que tu es allé acheter je ne sais trop quoi, il y a cinq
minutes et que n’ayant ni poche, ni porte-monnaie sur toi, il fallait bien
que tu mettes la monnaie quelque part !
– Et tu ne t’en souvenais plus ?
– Non !
Nous rions aux éclats !
Je te demande ton prénom mais je ne le comprends pas

Tu m’invite à venir sur le lit, mais avant, je te caresse un peu, ta peau
est douce, tes seins sont délicieux, tes pointes sont des fraises sous ma
langue, je bande comme la tour de Pise !
Tu me procure les gestes que j’attendais de toi, tu es douce, tu es tendre,
tu te penches vers mon corps, ton visage est très proche du mien, tu
débordes de sensualité. Instants délicieux ou le temps se fige ! Instants
trop courts. Je jouis, tu me caresse les épaules. Pas si pressée de me voir
me relever.
La conclusion, triviale, l’essuie-tout, le préservatif que l’on retire, la
poubelle, le lavabo, on se rhabille.

Je te demande de nouveau ton prénom, je ne comprends toujours pas, je te
fais répéter, c’est Karima, tu me dis que tu es égyptienne, que tu viens de
Louxor, tu me parle un peu de tes clients :
– Ils sont gentils, mais parfois il y en a de chiants…
Je te promets de revenir. Tu es contente, j’ai la faiblesse de te croire
sincère, (je n’ai pas dis désintéressée)

Tu m’aide à réajuster le col de ma veste, celui de ma parka.
Retour dans le minuscule ascenseur, on est aussi serré qu’à la monté, ta
main s’avance, je me demande :
– Elle ne va pas me retripoter le sexe quand même ?
Non, ce n’est pas cela, elle m’attrape le dessus de mes mains, me les
caresse et me les serre avec une infinie douceur, tout en me regardant avec
une quasi-tendresse… Je ne sais plus ou me foutre !
Je ne me rappelle plus si je l’ai embrassé pour la quitter ! Dehors, il
pleut toujours !

Elle est soft mon histoire, elle est bête mon histoire, je n’ai rien contre
le hard et le serais une autre fois, mais de cette histoire vraie, de cette
rencontre avec Karina, ce n’est pas nos ébats pourtant charmants dont je
garderais souvenir, mais ses mains sur les miennes, son regard… Chienne de
vie !

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2 réponses à Karima (ou le petit ascenseur) par Estonius

  1. Casey dit :

    ça sent le vécu et c’est très beau.

  2. Fechaud dit :

    Une très belle tranche de vie

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