Le désir de baiser et l’espoir d’être indemne par Jean de Tinan

 

Le désir de baiser et l’espoir d’être indemne
Vers les bordels déserts ont érigé nos pas
Nous sommes un peu saouls et ces femmes qu’on aime
Sans trop savoir leurs noms ne messieront pas.

Ah ! Toute femme est bonne à qui n’a pas voulu
Malgré la solitude et qu’il bandât si fort
Au seul Autopalmaire dédier son rut ;
Beau songe d’idéal pur et chaud quand ça sort.

Faisons sucer nos queues et sans autres caresses
Essayons un bonheur quoique un peu passager
Sans craindre le réveil de la trop courte ivresse
Où nos reins lourds s’efforcent d’éjaculer ;

Oui c’est une putain mais au moins elle avale
Et par sa bouche au moins, moyennant une thune
L’amour agenouillé peut tailler une plume
A ceux dont l’Âme-Sœur se nomme Peau-de-Balle.

Regarde auprès de toi la cuvette si bonne
Et le beau linge neuf doux à s’en essayer
Quand viendra le moment où tu devras rincer
Ma suprême blancheur que l’amour abandonne,

Ecoute les glouglous de leurs bouches qui sucent,
Vois la conviction de leurs langues fidèles
Et, pèlerin pieux des antiques bordels
Jouis dans toutes ces putains – avant les Russes.

Taverne Murger. 15 avril (1896). 1h du matin.


Jean de Tinan (1874-1898) était très lié d’amitié avec Pierre Louÿs (1870-1925). Ce poème est extrait de la Correspondance Tinan-Louys (1894-1898), éditée aux éditions du Limon en 1995.

 

Ce contenu a été publié dans Histoires, Poèmes, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

0 réponse à Le désir de baiser et l’espoir d’être indemne par Jean de Tinan

  1. asemir@gmail.com dit :

    Je ne connaissait pas ce poète ! Ce poème me le rend tout à fait sympathique.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *