Cendrillon en Corse par Cendrillon

Cendrillon en Corse

par Cendrillon

L’histoire part d’une petite annonce sur le Net. Après moults hésitations, le couple se décide à passer à l’acte. Ils ont juste 50 ans, les enfants sont grands et loin, le boulot occupe pas mal de temps. La vie sentimentale est assagie, les ébats sexuels épisodiques et un peu monotones. Le porno de Canal a bien relancé la boîte à fantasmes, mais le filon est limité et les films leur semblent de plus en plus tristounets et conventionnels. La lecture, seuls ou à deux, des histoires de Vassilia est un autre ressort qui les surprend au mieux, les distrait sans entrain le plus souvent. Trop loin de leur réalité. De cette lente démotivation, elle en rit, lui moins, même si ça ne le préoccupe pas plus que ça. Ils sont encore pas mal physiquement, plutôt en forme, et dans le genre cérébral du week-end (un roman, un film, un petit restau avec des vieux copains). Ils sont un peu dans la nostalgie, aussi, de la période de fac où les idées, les amants et les projets virevoltaient.

Pour autant, l’idée de l’échangisme ou du mélangisme ne les attire pas vraiment, par peur de l’inconnu et pour des raisons presque techniques : dans une si petite ville, sur une île, tout se sait, tout se voit, rien ne survit longtemps à l’anonymat. Et c’est là que Louis a une idée qui convainc son épouse : tenter de trouver un couple de touristes qui serait prêt à concrétiser deux fantasmes précis : qu’il fasse sa première fellation et qu’elle ait sa première double pénétration. Présenté comme ça, c’est pas très poétique. Mais la vérité est que cette simple perspective leur monte le rouge aux joues rien que d’y penser. Sylvie jouit très fort quand son mari la sodomise et lui caresse en même temps le clitoris. Et Louis a les émotions les plus intenses lorsqu’il lèche l’anus de sa femme avant de la pénétrer. A partir de ce schéma rodé, la possibilité que le premier se retrouve à faire jouir un homme avec sa bouche et qu’un inconnu « besogne » la seconde (en même temps que son mari) les bouleverse tous les deux dès qu’ils en parlent ! Vieux fantasme des deux côtés, un peu compliqué à avouer, à décoder, à justifier, à assumer. Mais à 50 ans, ils ont passé un cap, digéré leur histoire. Ces scènes jamais vécues mais souvent imaginées les font sourire, les intriguent gentiment. Ils ne se sentent plus en culpabilité ou en tension sur les questions de sexualité. Plutôt émoustillés à l’idée de ces apprentissages en terre inconnue qui les feraient profiter un peu plus sereinement des joies de la chair, sans mettre en danger le couple, mais sans sombrer non plus dans le débridé ou l’obsessionnel…

Reste à écrire le texte de l’annonce, à bien cibler la proposition. Premier écueil : trouver les mots pour faire mouche, pour éviter le glauque, les malentendus, le harcèlement, les déconvenues en tous genres, pour séduire aussi. Sylvie insiste sur l’option couple : deux personnes, c’est l’assurance d’une certaine proximité dans les désirs et c’est une bonne façon d’éviter des hommes en traque, bref de mettre de la distance avec des supposés plans cul pour pas cher. C’est angoissant, pense-t-elle, tous ces « H » en quête de jeunes et jolies « F », ces loups apparemment affamés qui occupent en permanence le terrain des petites annonces. Avec des demandes parfois drôles, parfois arrogantes, mais le plus souvent pathétiques et tellement stéréotypées, tellement obsédées par des mensurations, une performance, une hygiène, un jeu convenu de dominant ou dominé… Louis n’est pas tout à fait d’accord concernant la pauvreté sexuelle des attentes masculines : les homos sont un bon exemple qu’il est possible de bien gérer, apparemment, sa libido dans la communauté gay. Pour eux, tenter une aventure passagère n’est jugé ni dangereux, ni sordide, ni pervers. Alors que chez les hétéros, la rencontre d’un soir est immédiatement suspecte. Asymétrie injuste, mais les hommes hétéros y sont sûrement pour quelque chose, rétorque Sylvie. Internet peut-il bouger cette ligne de front ?

Le texte envoyé à Corsicarama est libellé comme suit : « Couple la cinquantaine reçoit dans son appartement à Bastia un couple de touristes de passage, âge équivalent, pour scénario coquin –fellation et double pénétration- sur une soirée et sans lendemain. Discrétion indispensable. Echange préalable par email ».

Louis, qui a créé une nouvelle adresse électronique anonyme pour l’occasion, reçoit dans les jours qui suivent une avalanche de réponses, pour la plupart totalement décalées. Des pubs de sites vidéos, des propositions commerciales, des invitations spécialisées, beaucoup de faux messages personnalisés qui entraînent la discussion sur des sites payants. Et quelques réponses d’hommes seuls, des gamins, des vieux lubriques, des apollons auto-déclarés, des soumis implorants. Quelques lolitas pas claires aussi. Et quatre couples. Deux de touristes visiblement très partouzeurs mais pas prêts à venir en Corse pour l’instant, un d’homo à la retraite en Italie et un de jeunes trentenaires d’Ajaccio. Passée l’émotion des premiers messages, Louis et Sylvie prennent conscience que la cible n’est pas atteinte, que l’on ne passe pas des fantasmes à la réalité sur un simple clic Internet. La déception est à la hauteur des efforts consentis pour passer à l’acte. Ils décident de ne répondre qu’aux e mails de couples et Louis rédige à chaque fois une réponse polie mais négative. L’histoire est close.


Quinze jours plus tard, Louis découvre un message intitulé « Cendrillon » et formulé comme suit : « J’entre à 22 heures précises dans votre appartement, la porte n’est pas fermée à clef. Douché, rasé de près et parfumé. Avec mes 65 kg, mon petit corps musclé, mon sexe déjà légèrement gonflé, un bouquet de fleurs à la main, un sourire au coin des lèvres aussi et beaucoup d’appréhension quand même. Je me prépare dans le hall avec les ustensiles posés sur une chaise : un bandeau pour les yeux, de longs gants soyeux et des bottines taille 40, un débardeur moulant, un string, un collier en cuir pour le cou, une ceinture pour la taille. Une fois équipé, je pousse une porte entrebâillée sur une pièce où la lumière est visiblement tamisée. Une main ferme me guide alors jusqu’à ce qui semble être un vaste canapé. Madame me fait doucement découvrir son corps du bout des doigts : buste gainé, sexe rasé, longue robe entrouverte et bottes en cuir. Je suis invité ensuite à parcourir Monsieur à tâtons, ses bottes en cuir, son sexe déjà arrogant qui pointe sous un boxer en soi, son gilet en cuir, son bandeau sur les yeux, ses mains visiblement attachées dans le dos. Ils sont parfumés et sortent du bain. On me sert un verre de vin rouge. Excellent. On me fait maintenant toucher un godemiché, un tube de vaseline, un sachet de préservatifs. Pas un mot. Des baisers furtifs, des frôlements suggestifs. Une musique sympa en sourdine. La suite leur appartient, ou plutôt appartient à Madame. Nous sommes tous les deux à sa merci, impatients et muets, inquiets et agités… La double pénétration sera affaire de patience et de méthode. La fellation entre hommes aussi. Avec un seul impératif : Nomadou s’éclipse discrètement, comme il est venu, aux douze coups de minuit. Ni vu ni connu. »

Louis et Sylvie se regardent, interloqués, perplexes, intrigués. La discussion, pourtant, est très brève. C’est Louis qui se lance en rappelant que le projet portait sur un couple. C’est Sylvie qui remarque que ce rôle de maîtresse est une très bonne idée. Nomadou a fait mouche. Leurs agendas sont feuilletés fébrilement. Et Louis renvoie un laconique « lundi 5 mars, 22 heures, 37 Boulevard P…, 4ème étage – porte de droite ».

Deux heures un peu stupéfiantes, inoubliables, douces et rugueuses, fiévreuses et tendues, inattendues et apaisantes…

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3 réponses à Cendrillon en Corse par Cendrillon

  1. Isidore dit :

    Pa toujours simple le monde des petites annonces

  2. Lamarck dit :

    Bizarre ce style, et ça fait plus état d’âmes qu’autre chose

  3. Marly dit :

    ça aurait pu être davantage développé mais ce n’est pas si mal

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