Une interview de Morgane Merteuil


Morgane Merteuil est escort et secrétaire générale du STRASS, le Syndicat des travailleurs du sexe. La jeune femme, qui se bat pour la reconnaissance des droits des prostituées, revient pour JOL Press sur la récente proposition de loi de la députée PS Maud Olivier. Pour elle, les travailleurs du sexe ne doivent pas être vus seulement comme des victimes.

 

JOL Press : Quels sont les points de la proposition de loi de Maud Olivier que vous rejetez ?

Morgane Merteuil : Nous ne sommes pas d’accord avec l’idée générale de la loi qui est de lutter contre la prostitution et non pas contre les violences que l’on peut rencontrer dans la prostitution, ce qui change vraiment la donne.

Dans le détail, nous ne sommes pas d’accord avec la lutte contre la prostitution sur Internet, avec la pénalisation des clients ou encore avec l’aide aux victimes d’exploitation qui est clairement insuffisante puisqu’il s’agit de leur offrir un permis de séjour de 6 mois censé leur donner le droit de travailler. Sauf qu’il est quasiment impossible de trouver du travail en 6 mois ! Tout ce qu’on leur donne, c’est l’allocation temporaire d’attente [336 euros par mois], ce qui n’est évidemment pas suffisant. Les modalités de pseudo-aides pour les personnes victimes d’exploitation sont dérisoires.

Nous sommes d’accord avec la proposition d’organiser les procès à huis clos pour les prostituées, et évidemment avec l’abrogation du délit de racolage. C’est une bonne chose. Mais nous ne voyons pas la nécessité de rappeler dans l’exposé des motifs les autres outils qui permettent de réprimer directement les travailleurs du sexe de rue. D’une certaine manière, cette proposition cherche à rassurer les maires qui pourront tout de même utiliser tel ou tel outil pour empêcher les travailleurs du sexe de travailler dans leurs rues.

L’article sur la prostitution étudiante est hypocrite : on nous explique que si les étudiantes se prostituent, c’est parce qu’elles n’ont pas conscience que c’est de la prostitution, et qu’il faut donc donner des cours sur la « marchandisation du corps » à l’école… Il n’y a évidemment pas une ligne sur la précarité étudiante, les problèmes de logement ou de bourses étudiantes, et sur les politiques de privatisation des universités…

Le problème de ce rapport est qu’il manque de mesures concrètement réalisables, il n’y a rien sur les moyens qui seront mis en œuvre, aucun chiffre.

JOL Press : Que répondez-vous aux personnes qui disent lutter contre la marchandisation du corps ?

Morgane Merteuil : J’aimerais d’abord que l’on définisse cette notion que l’on utilise pour tout et n’importe quoi. C’est une expression qui n’a pas du tout les mêmes enjeux selon qu’on l’utilise dans une optique libérale, dans une optique marxiste etc.

On utilise des mots qui font peur, sans les définir, pour nous dire que « c’est mal ». La « marchandisation du corps » pourrait aussi s’appliquer à d’autres métiers si l’on considère que certains travailleurs se « tuent » au travail et finissent le dos cassé à 40 ans…

JOL Press : Pensez-vous que les prostituées sont avant tout les victimes de réseaux de proxénètes ?

Morgane Merteuil : Nous pensons plutôt être toutes victimes du système capitaliste…

Les réalités sont en fait très diverses entre les prostituées, même lorsqu’elles travaillent pour un proxénète. Certaines personnes qui n’ont pas de proxénète peuvent être beaucoup moins libres dans leurs opportunités que des personnes qui ont quelqu’un considéré comme un proxénète alors qu’il s’agit parfois seulement d’un homme de leur famille à qui elles envoient de l’argent.

Aujourd’hui, le mot « proxénète » recouvre des dizaines de réalités différentes. Il peut aussi bien désigner la personne qui va aider une escort à faire son site internet que la personne qui va en forcer une autre par la violence. Sauf que l’article de loi est le même pour tous et ne fait pas la distinction.

Les gens utilisent donc le mot « proxénète » à tout va sans savoir de quoi ils parlent et quelles réalités se trouvent réellement derrière ce mot. Cela permet tous les amalgames et brouille le sujet. Par exemple, une grande partie des travailleurs du sexe se retrouvent dans la catégorie « proxénètes » simplement parce qu’ils partagent un appartement ensemble.

Derrière ces grands concepts, il y a avant tout des êtres humains, avec des parcours de vie et des projets différents – qu’ils soient des projets migratoires ou autres – et il y a surtout des vies en jeu. Or on balaie tout cela au nom de grandes idéologies creuses.

JOL Press : Pourquoi considérez-vous la prostitution comme un travail ?

Morgane Merteuil : Un travailleur du sexe tire ses revenus de prestations de nature sexuelle. Si les travailleurs du sexe le font pour l’argent, c’est comme pour tout métier, cela ne veut pas dire qu’ils détestent leur travail, ni qu’ils l’aiment. Mais peu importe les raisons pour lesquelles ils exercent leur activité. Si nous le faisons, nous voulons avant tout faire valoir nos droits fondamentaux.

JOL Press : Quel équilibre faudrait-il trouver pour exercer votre travail librement ?

Morgane Merteuil : La question n’est pas de travailler « librement » ou pas, dans une société capitaliste qui applique des lois répressives. La question, c’est de respecter les droits fondamentaux. Être victime de travail forcé, c’est une entrave aux droits fondamentaux. Et il y a des outils législatifs qui peuvent être utilisés pour améliorer cela.

Mais ces problèmes ne sont pas spécifiques à la prostitution, ils concernent des problèmes beaucoup plus larges et transversaux, qui doivent donc être appréhendés dans des logiques transversales. Les moyens qui devraient être mis en place pour lutter contre les problème d’exploitation en général ne le sont tout simplement pas parce qu’ils demandent de l’argent, de revenir sur les politiques néo-impérialistes de la France, de savoir tenir tête au FMI quand il veut imposer ses privatisations etc.

Les gens oublient que les situations qu’ils dénoncent ont été provoquées par les pays riches eux-mêmes. C’est un cercle vicieux.

JOL Press : Quels sont les pays ayant adopté des législations proches de ce que vous revendiquez ?

Morgane Merteuil : Les pays européens ne sont pas des modèles, puisqu’ils sont particulièrement prohibitionnistes, et les pays qui se disent « règlementaristes » se cachent derrière un mot qui sert juste de caution visant à réprimer encore plus les travailleurs du sexe qui ne veulent pas être formés aux règles qu’on leur impose.

Au niveau mondial, le système le plus intéressant est le système néo-zélandais, qui de son côté a opté pour une décriminalisation et n’a donc pas de réglementation spécifique. Cela a permis notamment le développement de coopératives de trois au quatre travailleuses du sexe qui travaillent entre elles, sans patron. De manière générale, les droits fondamentaux des travailleurs du sexe sont beaucoup plus respectés en Nouvelle-Zélande qu’en Europe.

Le système néo-zélandais a quand même quelques limites, notamment parce que les permis de travail pour les migrants sont beaucoup plus difficiles à obtenir lorsque l’on est un travailleur du sexe, ce qui pose évidemment des problème puisque ces personnes restent dans la clandestinité.

Propos recueillis par Anaïs Lefébure pour JOL Press

Ce contenu a été publié dans Gazette, avec comme mot(s)-clé(s) . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Une interview de Morgane Merteuil

  1. Dudule dit :

    J’aurais bien aimé lire un édito sur cette actu 🙂

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *