Depuis longtemps déjà, j’ai le désir secret de rencontrer un membre du
troisième sexe. C’est quelque chose dont je ne me suis jamais caché auprès
de mes proches, sans toutefois l’étaler sur la place publique. Et oui, j’ai
beau être ouvert d’esprit, ce n’est pas aux amateurs de ce site que
j’apprendrai que tous n’ont pas notre largeur… Mais, en tout cas, je
l’assume tout à fait, et je pars du postulat que ceux qui me désavouent pour
cette envie ne mérite pas mon amitié. Point.
Cela dit, un jour, j’étais en amphi en train d’assister au cours le plus
rébarbatif qui soit. Rien de pire qu’un cours de lettres dispensé par un
analphabète prétentieux. Je commençais à sombrer petit à petit dans un
sommeil réparateur quand un condisciple est venu s’asseoir à côté de moi. Il
était en retard et s’était fait conspuer par le prof. Heureux veinard.
– Salut. Je peux m’asseoir ?
– Bien sûr vas-y, Paul.
– Ah enchanté. Philippe.
Le cours battait son plein, c’est-à-dire que le sommeil gagnait jusqu’aux
rangées du fond, habituellement les plus actives, quand il se pencha vers
moi d’un air gêné.
– On peut se voir à la fin du cours ?
– Oui bien sûr…
La méthode laissait perplexe, je ne voyais pas ce qui pouvait bien
l’embarrasser à ce point. De toute façon, je n’eus guère le loisir de me
poser la question, puisque c’est à ce moment là que le professeur, excité
par nos bavardages et par mon sommeil visible, décida de nous exclure. Je
sortais donc, partagé entre mon plaisir de quitter cette horreur, et ma
crainte de tomber sur ce prof pour une épreuve orale… J’allais donc
prendre un café avec Phil. Et oui, à sympathie petits surnoms débiles.
Enfin. L’avantage de Paul, c’est que c’est déjà diminué!
Je sentis vaguement qu’il prenait son souffle, puis il se lança :
– Il parait que tu es fan de travestis ?
Je restais coi. Impossible de décrocher un mot. Mais décidé à ne pas me
laisser démonter à la première vérité venue, je répondais :
– « Fan », je ne sais pas si le mot est bien choisi, mais les travestis et les
transsexuels m’attirent beaucoup en effet.
– Parce que voilà, moi-même, je ne me sens pas très bien dans ma peau de
garçon, et je n’y connais pas grand chose. Si, j’ai déjà vu ma mère et ma
soeur se maquiller, alors j’ai observé, mais je n’oserai jamais sauter le
pas. Il faut que tu m’aides. Je voudrais faire l’expérience d’être en fille.
« Etre en fille ». Cette phrase-là m’a toujours fait rire. Mais curieusement,
dans sa bouche, pas du tout. C’avait plutôt l’air sérieux.
Je restais sceptique. C’était un peu extravagant. Cela dit, il avait raison,
que ce garçon soit un mec, c’était assurément un gâchis complet. Il était
complètement imberbe, manifestement, très fin voire fluet, et avait des
traits très fins et d’une grande douceur. Même sa démarche, je me le
rappelais à présent, avait tout de la démarche d’une jeune fille. J’hésitais
un bon moment, mais je dois dire qu’au fond de moi cette situation
m’excitait un peu. Je lui proposais donc de passer chez moi le soir même.
Quand il arriva, il fallut d’abord quelques bières pour se motiver. Ça
n’était quand même pas rien! Au bout d’un petit moment, et un peu éméchés,
je lui demandais de se déshabiller. Il s’exécuta, un peu timidement.
Moi-même, un mec à poil dans mon salon, j’aurais quand même eu du mal à
expliquer ça à ma coloc si elle était rentrée plus tôt que prévu de
vacances. Elle est sympa, nous avons un petit vécu commun, elle ne me cache
pas grand chose et réciproquement mais là…
Comme je l’avais deviné, il était tout lisse, à peine un petit duvet de ci
de là qui ne valait même pas la peine qu’on l’épile. Un corps de nana
presque impeccable mais pas un corps de mec au sens traditionnel du terme:
taille marquée, hanches curieusement larges, peu de muscles.
Un petit passage par la salle de bains s’imposait. Cela lui permit de se
maquiller et j’admirais sa dextérité. En quelques tours de main, il se fit
un maquillage discret mais charmant. Il commençait à devenir franchement
désirable… Je passais à côté de lui et à nous deux nous essayions de lui
faire une coiffure un peu correcte, une frange assez mignonne qui lui allait
très bien.
Nous nous sommes rendus dans la chambre de ma coloc. Elle était pour
quelques jours dans sa famille, mais elle n’avait pas emporté tout son
linge. Le seul problème, c’est qu’on ne pouvait pas dire qu’elle sortait du
couvent des oiseaux, et ses fringues étaient à l’avenant. En plus, elle
avait emporté l’essentiel de ses fringues de tous les jours. Je tendais donc
à Phil une petite robe, moulante parce qu’elle était un peu juste pour lui,
un soutien gorge en dentelle noire, un porte-jarretelles, des bas et un
string noirs. Il faudrait que je demande à ma coloc d’où elle sortait tout
ça, et pourquoi elle ne m’en faisait jamais profiter… J’étais presque gêné
de proposer ça, mais il accepta avec un petit sourire.
– Et bien c’est un fameux début ! Dit-il.
Nous avons ri de bon coeur. Il commença à enfiler ses vêtements, mais je dus
l’aider pour les bas parce qu’il était un peu maladroit. Il fallut aussi
naturellement rembourrer le soutien-gorge comme nous pouvions.
Mais je dois admettre que le résultat était bluffant. En face de moi se
tenait vraiment une fille. Un œil vraiment exercé aurait peut-être fait la
différence mais je n’en étais même pas sûr. Et lui souriait de toutes ses
dents. Il était manifestement ravi du résultat. Il tournait sur place, se
contemplant dans le miroir. Je lui ajoutais quelques bijoux de pacotille de
ma coloc (si elle me lit elle va me tuer). Il avait les yeux un peu humides,
et il arrivait à m’émouvoir avec sa joie.
– C’est merveilleux! Merci merci merci !
– Oui c’est épatant mais je n’y suis pour rien. Cela dit, maintenant, il va
te falloir un petit prénom si tu comptes te travestir régulièrement.
– Ah oui tiens je n’y ai pas pensé…
– Pourquoi pas Clio ?
– Un bagnole ?
– Non, une muse ou plutôt un hommage à une actrice des années 80. Mais bon.
Alors … heu… Sophie?
– Va pour Sophie! Et dis-moi j’ai envie d’autre chose.
– Dis toujours.
– Tu crois que je peux sortir comme ça ?
Là, elle allait loin mais je dois dire que c’était très
jouable, vraiment. Enhardi par la bière, qui vu son volume n’en finirait pas
de si tôt de se dissiper, je décidai de tenter le coup. Et je sortais donc,
avec
Sophie, vers un bar sympa que je connais un peu.
Personne ne semblait remarquer Sophie. Ou plutôt si, mais comme une jeune
fille plutôt mignonne. Elle semblait exulter, c’était manifestement un
nouveau monde qui s’ouvrait à elle. Rapidement, divers copains et copines,
habitués du lieu eux aussi, se joignirent à nous. Je sentais notamment que
l’un d’entre eux faisait du charme à Sophie. Il n’était pas à la fac, aucune
chance qu’il le reconnaisse. Au bout d’un moment, je les vis partir tous les
deux. Sophie semblait un peu grisée, je n’eus pas le temps de la dissuader.
Les minutes suivantes furent pénibles, je m’inquiétait un peu, et commençais
même peut-être à concevoir un peu de jalousie. C’est alors que je vis le
copain revenir, hors de ses gonds.
– Dis donc, tu pourrais prévenir quand tu trimballes une pédale !
Sophie venait d’entrer à son tour, en larmes. Je ne vis même pas les regards
lourds posés sur moi alors que je me dressai comme un diable.
– Et alors? Tu veux qu’on lui mettre un panneau ? Tu lui as fait du charme,
non, à la « pédale »?
– Ben ouais mais c’est un mec!
– Prouve-le. Ça saute pas aux yeux. La preuve. Ça t’empêche pas d’être poli.
C’est pas ton choix, très bien, mais tu n’es pas obligé de la mettre dans
cet état.
– Toi le fan de tapettes tu la fermes.
Je ne saurais plus dire qui a frappé le premier. Je me rappelle juste que ça
a fini par un match nul, on s’était un peu démolis tous les deux, je
saignais du nez comme un dératé, Sophie pleurait toutes les larmes de son
corps. Je n’ai jamais oublié tous les amis qui sont restés m’aider ce
soir-là à rentrer chez moi et m’ont soutenus. Ceux-là sont hors normes.
Quant à Sophie, je me suis retrouvé chez moi avec elle. Elle a passé la nuit
à me soigner en conversant avec moi.
– Je n’aurais pas dû.
– Mais si pourquoi ?
– Je suis un mec, c’est comme ça, c’est la nature.
– Non ça c’est pas la nature, c’est juste un pauvre con qui t’a jugée parce
qu’il a eu peur. Moi des mecs comme ça j’en croise à chaque fois que je
parle de mon goût pour les femmes comme toi. Mais je m’en fous. Ca m’empêche
pas de dormir.
A ces mots elle a souri.
La morale de cette histoire, c’est que le gros abruti du bar a taché de
répandre sa bile partout, cherchant un prétexte à sa bêtise. Oh bien sûr,
les regards obliques se sont multipliés sur nos chemins, à Sophie/Philippe
et à moi, mais je crois qu’il y a plus perdu que nous. L’autre morale, je ne
vous ferai pas l’affront de la résumer, vous l’avez très bien comprise.
Quant à ce qu’il est advenu de Sophie et moi, et bien c’est une autre
histoire…
Je suis navré si les amateurs de textes coquins sont frustrés. J’ai conçu
celui-ci comme un hymne, une douce fable à la gloire des trans de France ou
de Navarre. Qu’ils soient remerciés et encouragés à être eux-mêmes, envers
et contre tous les obscurs. Je les embrasse.
sollers29@hotmail.com
Bordeaux.
Désolé pour l’auteur mais ce texte n’a pas grand intérêt