Quels tétons ! par Gustave Flaubert
Lettre à Louis Bouilhet, 10 février 1851 (extraits)
» Parmi les morceaux de sculpture que l’on a trouvés dans l’Acropole, j’ai surtout remarqué un petit bas-relief représentant une femme qui rattache sa chaussure et un tronçon de torse. Il ne reste plus que les deux seins depuis la naissance du cou jusqu’au-dessus du nombril. L’un des seins est voilé, l’autre découvert.
Quels tétons ! Nom de Dieu quel téton ! Il est rond-pomme, plein, abondant, détaché de l’autre et pesant dans la main. Il y a là des maternités fécondes et des douceurs d’amour à faire mourir. La pluie et le soleil ont rendu jaune blond ce marbre blanc. C’est d’un ton fauve qui le fait ressembler presque à de la chair. C’est si tranquille et si noble. On dirait qu’il va se gonfler et que les poumons qu’il y a dessous vont s’emplir et respirer. Comme il portait bien sa draperie fine à plis serrés, comme on se serait roulé là-dessus en pleurant, comme on serait tombé devant, à genoux, en croisant les mains ! J’ai senti là devant la beauté de l’expression » stupet aeris « . Un peu plus j’aurais prié.
Et c’est qu’il y a, monsieur, tant d’espèces de tétons différents. Il y a le téton pomme, le téton poire, le téton lubrique, – le téton pudique, que sais-je encore ? Il y a celui qui est créé pour les conducteurs de diligence, le gros et le franc téton rond que l’on retire de dedans un tricot gris, où il se tient là bien chaudement gaillard et dur. Il y a le téton du boulevard, lassé mollasse et tiède, ballotant dans la crinoline, téton que l’on montre aux bougies, qui apparaît entre le noir du satin, sur lequel on frotte sa pine, et qui disparaît bientôt. Il y a les deux tiers de tétons vus à la clarté des lustres au bord des loges de théâtre, tétons blancs et dont l’arc semble démesuré comme le désir qu’ils vous envoient. Ils sentent bon, ceux-là ; ils chauffent la joue et font battre le cœur. Sur la splendeur de leur peau reluit l’orgueil, ils sont riches et semblent vous dire avec dédain : » branle-toi, pauvre bougre, branle-toi, branle-toi. » Il y a encore le téton mamelle, pointu, orgiaque, canaille, fait comme une gourde de jardinier à mettre des graines, mince de base, allongé, gros du bout. C’est celui de la femme que l’on baise en levrette, toute nue, devant une vieille psyché en acajou plaqué.
Il y a le téton desséché de la négresse qui pend comme un sac. Il est sec comme le désert et vide comme lui. Il y a le téton de la jeune fille qui arrive de son pays, ni pomme, ni poire, mais gentil, convenable, fait pour inspirer des désirs et comme un téton doit être. Il y aussi le téton dame, considéré seulement comme partie sensible, celui-là reçoit des coups de coude dans les bagarres, et les poutres, en plein, au milieu des rues. Il contribue uniquement à l’embellissement de la personne et constate le sexe.
Il y a le bon téton de la nourrice, où s’enfoncent les mains des enfants qui s’écorent dessus, pour pomper plus à l’aise. Sur lui s’entrecroisent des veines bleues. On le respecte dans les familles.
Il y a enfin le téton citrouille, le téton formidable et salopier, qui donne envie de chier dessus. C’est celui que désire l’homme, lorsqu’il dit à la maquerelle : » donnez-moi une femme qui a de gros tétons. » C’est celui-là qui plaît à un cochon comme moi, et j’ose dire, comme nous. »
Et selon chacune de ces espèces différentes, il a, de tout faits d’avance : des tissus, des ornements et des phrases. Les fourrures d’hermine rehaussent de blancheur la poitrine des femmes du Nord. La batiste a été inventée pour les peaux transparentes comme les dentelles frissonnantes pour les seins agités. Blanche comme de la terre de pipe, la toile de Hollande couvre de ses plis le cœur honnête des Flamandes, ménagères à l’œil bleu qui portent au front des plaques d’argent et qui, sur des bateaux lents, suivent leurs maris en Chine.
Là, pour des femmes jaunes, le ver à soie, au soleil, se traîne sur les mûriers. Sans le spencer de velours noir, que serait la joueuse de guitare des rues ? Chaque cœur a son rêve et sa breloque ; la croix d’or à ruban noir est pour la villageoise, la rivière de diamants pour la duchesse, le collier de piastres sonnantes pour les femmes du Nil.
Et on les convoite de cent manières, on les embrasse de mille façons, on les appelle dé toutes sortes de mots. »
Sur le sein des mères, le moutard à la broquette pointue éprouve des érections précoces. Par la porte entrebâillée il a vu la bonne qui changeait de chemise. Bientôt le soir. revenant du collège, il passera par les rues obscènes, afin de voir de gros tétons de femme briller sur des robes roses. À vingt ans, il lui faudra la grasse épaule de la bougresse mordue par le corsage serré, et qui déborde en bourrelets durs. S’échappant de chez le bourgeois, le commis marchand de vins court au broc, et rotant le cidre, patrouille à grosses mains la gorge des garces.- Avec sa bouche édentée le vieillard bavachant, mordillonne entre ses gencives tranchantes la fraise rose du téton de la fillette – et, sans bander, éjacule trop vite en sa culotte. Et selon les circonstances, les lieux et les sociétés, on dit avec des intonations, des gestes, et des œils divers: » Oh ! laisse-moi voir, hein ? je t’en prie, que j’y touche un peu, dis donc. Oh ! montre-moi ton téton ! montre-moi ton téton ! ! ! » À quoi l’on répond: » À bas les pattes, laissez-moi, va-t’en, ou » Ça te plaît ?-baise les, frotte là-dessus. » J’ai relu Eschyle. J’en reviens à ma première impression; ce que j’aime le mieux c’est Agamemnon.
Je croyais à un canular, mais non, je suis allé vérifier sur Google book, Flaubert à réellement écrit ça ! Sacré Gustave !