Framm 2 – Une mission… par Kassariel

Framm
2 – Une mission…
par Kassariel


Attaque, parade, riposte, esquive, feinte, botte. Une séquence de mouvements rapides, le corps agissant avant l’esprit. Le claquement sec de bambou sur bambou accompagnant les sons d’effort, de pas sur le sol.

Milène avait la vitesse d’un cobra frappant sa victime, l’agilité d’un chat. Elle pouvait en dire autant de moi. Elle avait commencé à manier les armes à dix ans. Moi aussi. Elle avait dix ans de combats désespérés, mais occasionnels, alors que j’en avais fait cinq ans d’aussi désespérés, mais trop fréquents.

Elle prit quelques pas de reculs, et j’en fis autant. Elle baissa sa garde, enleva son masque, mouillée de sueur, mais souriante. La salle d’armes était de loin trop chaude, et notre équipement de protection ne faisait qu’empirer les choses. Quatre heures à se pratiquer, à se battre ainsi. Il n’était pas important de terminer ce combat. Nous étions trop bien balancés, et je gagnais aussi souvent que je perdais. Je connaissais ses astuces, elle ne connaissait que trop bien les miennes.

Elle me tendit la bouteille d’eau après en avoir fini. Une eau froide, qui frappait par la pureté de son goût, de son absence de quelque saveur que ce soit. Habitué comme je l’étais à une eau maintes fois recyclée par des usines vieillissantes et insalubres, j’appréciais ce luxe simple.

Je puais et elle aussi, à moitié par notre propre sueur, à moitié par l’odeur rance qui se dégageait de notre équipement de protection loué, utilisé par des dizaines d’autres personnes et jamais lavé. La salle d’armes elle-même n’était pas fameuse, la peinture s’écaillant en plaques et rendue grise par le temps. Mal éclairée, équipée de matériel bon marché et de qualité médiocre, cette salle avait l’avantage d’être près de chez moi. Et de ne pas être chère. Ce dernier point avait son importance particulière.

Nous avions besoin d’une douche, mais les douches de ces lieux étaient pires que tout le reste. Un changement de vêtements, le retour des équipements au bureau de location, et nous étions de retour dans les corridors.

Incognito, elle portait une tenue de combat reprisée et un peu trop ample. Son expression était dure, sa démarche confiante, mais aussi un peu agressive, du style qui ne commençait pas les batailles, mais qui les finissait. Elle portait un badge de spécialiste à l’épaule droite, ce qui lui permettait de porter ses armes en public. Je portais le même insigne. Deux vétérans, épaule contre épaule. Deux loups parmi les moutons, peu importe que certains de ces moutons viennent en groupes armés.

On nous laissait passer sans nous inquiéter.

« Bonjour Monsieur Arkel… »

C’était dit avec un ton qui était enjoué et respectueux. Alem, le genre de gars qui aurait vendu des drogues dans une école primaire. Il tentait d’éviter de poser les yeux sur Milène, mais n’y parvenait pas totalement. Milène avait cet effet sur les gens. Je répondis d’une vague courtoisie, comme toujours.

Un pas plus lent, car il y avait beaucoup plus de monde que normal dans le corridor, une petite cohue occasionnée par une vive dispute entre voisins. Il semblait qu’un chien avait cruellement mordu un autre. C’était du moins l’excuse.

Un autre corridor, puis un autre, et nous étions rendus dans mon coin. Un coup d’œil me permit de constater que la porte n’avait pas été ouverte. Milène aussi était aux aguets. Elle était incognito, mais un paladin était une cible tentante pour l’ennemi, tout comme je l’étais. Avec un ange comme père, son âme était particulièrement désirable.

Elle avait bien anticipé son coup. J’aurais dû m’y attendre. Nous enlevions nos bottes, mais elle se dépêcha, et je tardai à comprendre. Elle me tassa de son chemin d’un rude coup d’épaule et s’engouffra dans la salle de bains, barrant la porte avant que je ne puisse la rattraper.

« Ouvre cette porte! C’est ton Maître qui l’ordonne! »
« Quoi? » Un ton espiègle que je ne connaissais que trop bien.

C’était peine perdue. Milène me réclamait comme étant son maître, mais elle était celle qui décidait des temps où elle m’obéissait. Son problème était que plus elle était avec moi, plus elle obtenait ce dont elle avait besoin, plus elle était elle-même, et moins elle avait besoin de moi.

Milène était une créature de contradictions : elle pouvait vivre et se battre dans les pires conditions pour de longues périodes de temps, mais lorsqu’elle le pouvait, elle insistait pour avoir ses petits conforts. Elle détestait prendre une douche à l’eau froide, adorait les longues douches, et mon chauffe-eau n’avait qu’une faible capacité. Je la connaissais : elle ne me laisserait pas une goutte d’eau chaude.

Il était temps d’agir. Une petite attente pour avoir la certitude qu’elle était sous la douche… puis quelques petits tours de poignet pour fermer la valve d’eau chaude… et ma vengeance était consommée. De vils jurons parvinrent à mes oreilles au travers du mur. Une musique exquise.

Elle sortit de la salle de bains, nue et dégoulinant sur le sol. J’étais là, en embuscade, prêt, mais elle avait prévu le coup. Elle était déjà en mouvement pour me contrer. Elle était glissante, en plus. J’étais cependant plus lourd qu’elle, et quoiqu’elle soit très bonne au combat corps à corps, il était rare qu’un paladin ait à se battre d’aussi proche, alors que j’y avais été obligé pendant mon temps dans les bataillons pénitentiaires. Elle me donna beaucoup de fil à retordre et me fit encaisser un certain nombre de coups, mais j’arrivai éventuellement à avoir la main haute sur elle et à forcer sa reddition.

Des menottes faisaient partie de son équipement, et elle les accepta de bon gré –sa capitulation était parfois véridique-, ses mains attachées derrière elle.

« Non ! »

Elle s’écria, lorsqu’elle comprit mes intentions, soudainement tentant de me résister alors que je la forçais à me suivre dans la salle de bains. Même avec ses mains attachées derrière elle, elle me fit travailler très fort pour la faire entrer dans la douche. L’eau froide coulait toujours, et je me faisais moi aussi mouiller, mais moins, et la satisfaction valait bien un petit désagrément.

Je la tenais coincée contre le mur, son corps directement sous le jet d’eau. Elle se débattait, et le risque de glissade était grand. Une décision, et je la laissai glisser, mais de manière contrôlée, la suivant. Assis sur le fond de la douche, je me faisais maintenant mouiller autant qu’elle. Au sol, il était plus facile de la maintenir en place. Elle le savait.

« Ça va, Arkel. Tu gagnes, » elle me dit, claquant des dents, frissonnant.

Cette fois-ci, sa reddition était réelle. Elle allait être douce comme une brebis… pourvu que je n’ambitionne pas trop. La clef des menottes me prit une minute à trouver.

« Lave-toi. Lave-toi bien. Ne manque aucun morceau. » Je lui dis, une fois libérée.

Elle prit bien garde de ne pas montrer quelque hargne que ce soit.

Elle se lava rapidement, mais avec soin, car elle savait que si elle tentait de couper les coins ronds, elle ne resterait que plus longtemps sous l’eau froide. Je ne détestais pas le petit spectacle, même s’il n’avait rien d’érotique. Elle me donna un regard quand elle eut terminé. Je la fis se tourner, mais elle ne m’avait donné aucune raison.

Elle sortit rapidement après avoir fermé l’eau, et accepta ma serviette, transie. Quelques minutes plus tard, c’était à mon tour de sortir de la douche –une douche à l’eau bien chaude, pour faire changement-.

Elle était dans le lit, enroulée dans les couvertures. Je ne pouvais même pas lui voir la tête. Elle se dégagea un peu, me laissa avoir assez de couvertures, mais je compris rapidement que c’était un acte intéressé; à peine glissé sous les couvertes, elle se colla contre moi. Elle était froide! Elle m’agrippait fermement, comme pour m’empêcher de la fuir. C’était de bonne guerre.

Elle me mordillait l’épaule, je la caressais, mes doigts explorant ce corps qui m’appartenait. Blottie contre moi, elle frissonna lorsque mes caresses vinrent à trouver ce tatou discret sur la fesse droite, cette marque qui l’identifiait comme étant mienne. Ma main était insistante, les doigts traçant chacune des lignes, lui rappelant que c’était elle qui était venue me voir, avait insisté pour que j’en fasse ma propriété. J’avais testé sa résolution dès le début de notre relation, et c’est ainsi qu’elle en était venue à porter ma marque.

Elle sentait bon. Elle me caressait d’une jambe, une main derrière ma nuque, ses doigts caressant paresseusement. Elle frissonnait parfois.

Elle se crispa un peu alors que mes doigts commencèrent à suivre les endroits où sa chair avait été cruellement meurtrie par l’ennemi, torturée pendant des semaines. Plus rien ne paraissait, pas une cicatrice… rien de physique. Mais son esprit avait été profondément blessé, saignait toujours un peu. Elle frissonnait; ce n’était plus de froid, mais de cette peur, de cette douleur, de cette sauvagerie qu’elle portait toujours en elle. Je connaissais l’intensité de ses émotions, la profondeur de ses plaies, et savais instinctivement comment l’aborder, comment drainer l’excès, comment calmer cet esprit structuré et discipliné.

Je me rappelais de ce corps ensanglanté, écorché, brûlé que j’avais trouvé. Seules sa ténacité et l’endurance de son corps lui avaient permis de survivre. Ça, et les pouvoirs de guérisseur que j’avais hérités de ma mère. La sauver m’avait poussé aux limites mêmes de ma capacité plutôt considérable. Un lien avait été créé, sans le vouloir, comme cela arrivait parfois.

Elle était certaine que Milikki était intervenue en me guidant à elle. Je détestais l’idée, mais elle avait probablement raison.

Mes doigts tracèrent le long de sa colonne, lui rappelant cette horrible blessure. Elle se crispa encore plus, laissa échapper un sanglot. Les meilleurs thérapeutes de l’Empire avaient échoué. Trop fière, trop disciplinée, trop blessée pour faire confiance à quiconque, pas pour ces choses. Sauf avec moi, qui l’avais sauvée, qui avait guéri son corps, avec qui elle partageait un lien indéfinissable, un lien qu’elle croyait voulu par Milikki.

Je traçais ces cicatrices, qui n’existaient maintenant plus que dans son esprit. Elle souffrait, sa mémoire vive et intacte, se rappelait de la douleur intense et soutenue qui sapait moral, énergie et volonté. Avec moi, elle baissait sa garde, acceptait de se livrer, de pleurer, de s’agripper à moi, de relâcher cette tension accumulée en elle. Jusqu’à ce que cette douleur enfermée dans un coin de son esprit soit complètement libérée.

De longues minutes à raviver chaque blessure, à la brûler de son esprit, jusqu’à ce qu’il ne reste rien d’important. Le tout reviendrait, s’accumulerait à nouveau, mais cela prendrait un certain temps.

De longues minutes à simplement la tenir, à partager ma chaleur avec elle. Elle bougea la première, m’embrassa. Une chose mena à une autre, puis à faire l’amour de manière paresseuse, sans urgence. De longues caresses. Du plaisir, mais de moyenne intensité. Une fin satisfaisante, mais la tendresse comptait plus, en ce moment.

Plus tard, couchés sur le côté, son dos contre ma poitrine, je lui murmurai à l’oreille ce à quoi je m’attendais d’elle. Une mission, qui la garderait profondément allumée, qui lui permettrait de tenir plusieurs semaines sans avoir à être en ma compagnie. Je la sentais réagir, son odeur semblant devenir plus profonde, et elle frissonnait d’anticipation. Je voulais la voir poser nue, dans le plus grand magazine érotique du monde. Elle avait le corps, le visage. Elle saurait trouver les contacts, à passer avant toutes les autres déjà prévues. Elle arriverait à s’assurer que personne ne puisse affirmer que c’était elle.

Une tâche tout de même difficile, qui ferait beaucoup pour elle. Elle se tourna. Et cette fois, il n’y avait rien de paresseux à la manière avec laquelle elle me fit l’amour, férocement, avec passion…

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