Eric, Julie et moi – chap 2 par mlle_helened
Même si on ne se voyait plus, j’avais toujours des nouvelles d’Eric. Souvent par mail ou par Skype, parfois par téléphone. Jusqu’au jour où il m’annonça que le ciel venait de lui tomber sur la tête.
Eric avait trouvé un poste en or. Sitôt sorti de fac, il avait décroché un job de responsable informatique adjoint dans une filiale d’un grand groupe industriel implantée en Bretagne, pas loin de sa famille, Eric était heureux dans son boulot.
Mais voilà, crise oblige, il avait été décidé en haut lieu que l’informatique dans cette filiale coûtait cher et pouvait être regroupée avec celle du siège.
Son univers venait de s’effondrer et il le suivait dans sa chute. Il tenta de chercher un poste identique, ou du moins approchant. Mais il dut se rendre à l’évidence : il ne pouvait qu’accepter la proposition de reclassement au siège de la société. A Paris.
Même si d’un côté j’étais content de retrouver mon ami, je partageais sa peine. Moi aussi, originaire du sud-ouest, je comprenais ce pouvait représenter la différence de vie province – Paris. Mais après quelques années, je m’étais fait à l’idée. Chose d’autant plus facile que je pouvais me laisser aller à mes penchants sans risquer de croiser un membre de ma famille, qui, bien sûr, ne savait rien.
Eric emménagea trois mois plus tard dans un appartement dans le dix-septième. Dans son malheur, il avait eu une chance de cocu, de trouver ce deux-pièces de cinquante mètres carré avec quasiment peu de travaux et vendu par un couple en instance de divorce. Son défaut : quatrième étage sans ascenseur, pas de cave, plutôt mal agencé et une quasi impossibilité de se garer à proximité. Mais Eric s’en moquait. Il n’avait aucunement l’intention de venir en voiture à la capitale. Et il n’avait pas vraiment l’intention de finir sa vie à Paris.
Bien sûr, je l’aidai dans son aménagement, le conduisant en banlieue pour ses achats mobiliers et autres nécessités.
Etant dans un premier temps son seul ami dans la ville, on passa pas mal de temps ensemble. Puis nos rencontres s’espacèrent, garantissant notre amitié.
Régulièrement, une ou deux fois par mois, il venait manger chez moi, et moi chez lui. Sa passion pour les jeux vidéo n’avait pas faiblie. Au contraire. Une des raisons pour lesquelles il était toujours célibataire. On parlait relativement peu de sexe, embarrassés par nos virginités respectives. Enfin, si je savais être encore vierge, je n’étais pas vraiment sûr pour Eric et je ne voulais pas poser la question, au risque de mettre sur la table une éventuelle séparation douloureuse.
Mais d’un autre côté, je lui cachais toujours mon côté obscur. Les quelques rares tentatives de parler de travestissement ne m’avaient pas convaincu de son ouverture d’esprit sur le sujet.
Le temps passant, mon désir de lui parler de mon alter ego féminin se fit de plus en plus fort. En clair, je voulais faire mon coming-out. Mais la crainte de perdre mon ami m’en dissuadait.
Malgré mes réticences, j’ai fini par craquer.
Je l’attendais ce dimanche. Volontairement, j’avais laissé un haut en dentelle et un ensemble string soutien-gorge dans un coin de mon studio. Pas vraiment en évidence, mas pas caché non plus. Juste ce qu’il fallait pour qu’à un moment ou un autre Eric les voie. Et ça n’a pas loupé. A peine sa veste posée, il m’en fit la remarque.
– Tu as de la lingerie ? C’est à qui ? Je ne savais pas que tu avais une copine ?
– Je n’ai pas de copine, dis-je. Puis après un silence : c’est à moi.
– Tu portes de la lingerie ?
– Oui, avoué-je
– Ah, fit-il, déstabilisé par cette révélation.
– Je m’habille en fille parfois.
Silence d’Eric
– Tu aimerais me voir en fille ?
– Non, je ne crois pas.
Réponse claire et sans ambiguïté.
Je rangeai mes effets féminins et un peu penaud et je préparai l’apéritif.
Autant dire que l’ambiance fut plombée, malgré nos efforts pour oublier cet évènement pathétique. Je ramenai Eric comme je le faisais habituellement.
On resta un peu plus longtemps sans nous donner de nouvelle, aucun de nous n’osant faire le premier pas. Je fus le premier à briser le silence pour l’inviter à nouveau.
On reprit notre rythme habituel.
Mais mes démons remontèrent à la surface. Mon envie de montrer au grand jour mon alter ego féminin se fit de plus en plus fort. Et qu’il le veuille ou non, Eric serait mon témoin.
Jusqu’au dernier moment, j’hésitai. Les voix du Bien et du Mal se livrèrent un bataille féroce sous mon crane. Mais à quelques minutes avant l’arrive de mon ami, ma décision fut prise. Il allait enfin rencontrer Hélène, puisque mon moi fille s’appelait ainsi.
Je me préparai fébrilement, prenant soin de ne pas rater mon maquillage, m’habillai d’un tailleur sobre et d’un simple chemisier blanc ; des collants couleurs chair et des escarpins à petits talons. Rien d’ostentatoire, rien de provoquant. Enfin, c’est du moins tel que je me voyais.
Eric est venu, m’a vu et » repartu « . Veni, Vidi, reparti. Il n’avait pas dit le moindre mot. Je restai comme deux ronds de flan. Je venais de perdre mon seul et vrai ami.
Dépité, je me changeai, me démaquillai et passai la journée à broyer du noir, me maudissant de ma connerie. Connerie à prendre dans tous les sens du terme.
Deux semaines passèrent. Un nouveau week-end s’annonçait après une semaine plutôt chargée. J’allai enfin souffler un peu et me reposer.
Ma tentative pathétique de coming-out avec Eric m’avait passablement refroidie et je n’éprouvai aucune envie de me travestir. Même les films pornos que j’entassais dans mon armoire ou mes visites sur mes sites habituels n’arrivèrent pas à m’exciter. Je me laissais aller, passant le week-end sans me raser. Ma pilosité recommença à envahir doucement mon corps, mais je ne prenais pas de rendez-vous chez mon esthéticienne pour autant. Une fois, je fus tenté de tout balancer à la poubelle. Et une autre fois, en totalement déprime, je me dis que je pouvais m’y mettre avec dans cette poubelle.
Mais instinct de survie ou pas, je ne passai pas à l’acte. Déprimé certes, mais quand même pas à ce point. Et il y avait, sans aller à l’autre bout du monde, des gens bien plus malheureux que moi. J’avais un métier, un toit, de l’argent, un frigo plein. Le camouflet que j’avais pris n’étais ni plus ni moins qu’une gifle donnée à un enfant capricieux.
(À suivre)