Delia – 2 – par Clairane

CHAPITRE II
J’avais connu Marion à Paris, lors d’un reportage et d’une enquête sur les
avancées génétiques. Elle travaillait dans un laboratoire. J’avais eu à
l’interroger dans un bureau minuscule et surchargé de livres et de
registres. Nos mains s’étaient frôlées, nos regards attachés l’un à l’autre
sans que ni elle ni moi ne comprenions grand chose à ce qui nous arrivait.
Je n’avais quant à moi eu que de fugaces aventures avec les femmes.
Aventures de lycée pour la plupart quand la promiscuité des vestiaires, des
toilettes, des salles de cours même favorise les caresses légères, les
frôlements, les baisers volés. Mais je me voyais encore, bêtement, hétéro
considérant mes expériences féminines comme les fruits un peu verts d’un
tempérament ardent, d’un désir insatiable qui se manifestait alors par de
longues et fréquentes masturbations que je partageais volontiers, au lycée
puis en fac, avec mes copines et pas forcément les plus proches mais celles
qui me paraissaient alors comme les plus délurées ou les plus vicieuses. Je
n’étais plus vierge et j’étais amoureuse d’un alors encore jeune écrivain
dont la virilité -à vrai dire nullement extraordinaire-et l’imagination
érotique -bien banale- me satisfaisaient pourtant complètement.
Mais il y avait le regard de Marion, ses yeux très pales d’un bleu incertain
toujours un peu traqués, sa blondeur sombre naturelle, sa peau semée de
taches cannelle et ses mains longues et fines, délicates et fortes à la fois
qu’il me prît soudain l’envie de serrer entre les miennes, de porter à mes
lèvres, de poser sur mon sein, de sentir sur mon ventre, mes cuisses. Bien
sûr, je n’en fis rien. Je n’osais pas, n’ayant le courage ni de faire ni
même de penser et me dire ce que je désirais si violemment. Mais elle sentît
que quelque chose se passait. Elle s’était déjà clairement définie comme
gouine, homo, ne cherchant son bonheur son plaisir et son équilibre que dans
le milieu femme qu’elle fréquentait depuis plus de six ans. Elle en avait
trente à peine. Quand, l’entretien terminé, les notes rangées, nous nous
dirigions entre les livres posés à même le sol, vers la porte, elle me
retint par le bras, m’attira vers elle, plongea son regard dans mes yeux,
sourit et me prit la bouche, enfonçant d’autorité sa langue, plaquant ses
seins contre les miens et sa main sur ma taille. Le premier moment de
secrète panique passée, je lui rendis son baiser. Nos langues alors
s’épousèrent dans une écume de soupirs heureux, je me frottais contre elle,
essayant de sentir ses seins et à mon tour abandonnant mes papiers je posai
ma main sur sa hanche, ses fesses. Nous restâmes ainsi longtemps à nous
embrasser, à mêler nos salives, à échanger, entre nos soupirs, des regards
fous sans prononcer un mot. Elle avait dénudé ma poitrine, pris mon téton
qu’elle mouillait de salive, tétait, mordillait, rendait dur et sensible, et
glissé sous ma jupe une main qui pétrissait mes fesses, s’insinuait parfois
et que je désirais sentir sur mon sexe. Puis, aussi soudainement, elle se
déprit de moi, se rajusta, les yeux fixés aux miens, perdus, me disant son
désir, sa passion, sa gêne tout ensemble et surtout sa tendresse que je
compris vraiment quand, avant de me quitter aussi abruptement, elle prit ma
main, en embrassant la paume, longuement, avant de la serrer contre son sein
contre son cœur que je sentis battre la chamade, à l’unisson du mien.
Elle ouvrit la porte, maîtresse d’elle-même, me raccompagna à l’ascenseur,
me quitta sur un bien banal :
– Vous savez où me trouver !
J’étais au pied d’un immeuble de 23 étages, à Paris, et je venais de tomber
amoureuse d’une femme dont je ne savais rien sinon qu’elle travaillait dans
la tour qu’elle était belle à mourir avec sa haute taille mince et nerveuse,
ses yeux d’or pâle maritime, et que j’avais déjà besoin d’elle, de ses
regards, de son sourire un peu triste, de ses seins généreux, ses mains et
ses doigts fins, nerveux. Sa bouche m’avait léchée jusqu’à l’âme. Je lui
appartenais. Cela s’appelait un coup de foudre. C’était mon premier.
Je savais effectivement où la trouver et c’est là, que dés le lendemain je
me précipitais. C’était en tout début d’après-midi et les bureaux étaient
pour la plupart vides. Dans les couloirs de rares gens pressés et derrière
une porte vitrée, son profil, ses cheveux, son regard qui me voyant
s’éclaira et sourit.
– Nous allons dans le petit bureau… ?
Elle m’entraîna. La porte se referma. Elle fut de suite contre moi,
m’écrasant contre la porte, cherchant ma bouche, mordant, léchant mon cou,
relevant ma jupe que j’avais voulu ample, trouvant, dans un grognement, mon
sexe nu, sans culotte, rasé, me pressant la tête contre sa bouche,
m’enfonçant, me branlant enfin d’un doigt autoritaire. Je jouis aussitôt.
Sous son doigt, sous sa bouche. La fureur s’apaisa soudain. Elle caressa mes
cheveux, sans dire un mot, prit ma main dont elle lécha la paume, la mit sur
son sein encore tout habillé. J’écoutais la chamade qui rythmait et mon
souffle et mon cœur. Elle me raccompagna jusqu’à l’ascenseur :
– Vous savez où me trouver !
Durant plus de six mois, avec parfois de longues absences peuplées de
cauchemars , nous nous vîmes ainsi une fois, quelque fois plus, par semaine.
Le matin, ou l’après-midi, le soir, très tard, dans son labo, dans son petit
bureau encombré où bientôt nous eûmes nos habitudes, utilisant le vieux
fauteuil, la table débarrassée de ses dossiers, la moquette même, un coin
entre deux étagères. Elle me faisait asseoir. Je me troussai, lui montrai ma
chatte nue. Elle s’agenouillait devant moi entre mes cuisses ouvertes. Aux
toilettes parfois où elle m’obligeait à pisser sur sa main tout en léchant
ma bouche. Sur la table où je me retrouvais troussée et à genoux lui offrant
mon cul et ma danse impudique.
Dans ce quart d’heure torride il ne s’échangeait pas trois mots mais les
yeux, le corps, la peau, la danse, le désir parlaient, parlaient, nous
disant que tout ceci n’était pas une simple histoire de cul et de désirs,
une façon confortable et rapide de se faire reluire la chatte par partenaire
interposée mais que, sous l’étrangeté et la violence des plaisirs, il y
avait une vraie tendresse, une vraie passion, silencieuse et mouillée.
Mouillée des jus que nous partagions dans nos léchades folles, mouillée des
salives et des baves, des frottements quand elle prenait, en s’asseyant, ma
cuisse nue entre les siennes et qu’elle se faisait jouir en dansant,
brillante de salive et m’inondant de miel. Mouillée aussi de tous les jus du
cœur, ces rêves, langueurs et songeries, cette ivresse soudaine et ces
ruades brutales qui cognent sous le sein, pour un sourire, un regard, un
sein qui se soulève, un simple geste de la main, une façon de mouvoir les
épaules, les hanches…
Un jour, enfin, elle me proposa un rendez-vous. Le soir même, dans une boite
branchée. Une boite de femmes. Pour femmes. Je fus ravie, j’eus peur,
j’acquiesçais. Pour enfin la connaître, parler, utiliser des mots, savoir de
sa vie hors son travail, avait-elle un mari, d’autres amantes, Une amante de
cœur et de vie ? Et pourquoi cette boite où nous ne serons pas seules pour
se manger des yeux, se serrer la main, se dire et se parler ? J’acquiesçais
et le soir même j’étais au  » Lac « .

Je connaissais cette boite que je voulais ignorer. Longtemps je l’avais
considérée comme un lieu interdit, pomme d’un arbre qu’en Eve éternelle je
me devais de cueillir et de mordre, lieu interdit d’un interdit plaisir que
je me plaisais la nuit à parcourir d’un doigt de moins en moins hésitant, de
plus en plus précis, savant, feuilletant des histoires que j’oubliais à
l’aube.
Porte noire et laquée sous la lèvre d’un néon, sésame, et cet escalier qui
colimaçonnait jusqu’au cœur touffu d’une piste banale où des femmes, que des
femmes, dansaient.
Fièvre. Immobilité de marbre incandescent. Et ces regards sur moi, seule à
une petite table pas très loin de la piste où tournaient les étoiles. Ces
regards sur ma jupe tirée, mon corsage fermé. Ces regards qui me mettaient
nue et sous lesquels, du plus loin de moi, je me voulais nue. Je crois que
j’ai fermé les yeux un long moment avant de me laisser glisser en une paix
intime doucement en arrière contre le dossier à demi confortable, genoux
découverts. J’avais mis des bas, je me voulais femelle, j’avais rasé mon
sexe, je me voulais vierge de ces étreintes dont la seule vision, dans la
pénombre, me liquéfiait.
Marion apparut enfin, détendue, souriante, douce, carnassière complice tant
de mon ivresse que de mes peurs. Bientôt nos sourires, nos mots se firent
plus tendres encore, sa main effleura ma main, son rire apaisa mes alarmes,
nos doigts s’enlacèrent, nos hanches se frôlèrent, ma jupe glissa encore
plus haut sur mes cuisses de soie noire. Et je m’abandonnais à sa bouche
savante sur mes lèvres décloses, m’abandonnais à ses mains qui sous mon
corsage faisaient durcir la pointe de mes seins, m’abandonnais aux regards
d’inconnues que je devenais, fixés sur mes cuisses, sur ma jupe maintenant
haut troussée, regards sous lesquels je m’offrais, maritime et salée, ivre
sous ce baiser public qui n’en finissait pas de ressusciter mes soifs, sous
ces mains qui sous mon corsage dressaient à mes seins des poignards
liquides.
A mon tour je frôlais ses cheveux sa nuque ses cuisses. La musique martelait
les tempes. Marion me souriait les yeux moissonnés de tendresse. – Viens
danser !
Elle fut contre moi-Je perçus sa respiration rapide, son souffle court, son
émoi-et aussitôt prit ma bouche. Nous étions quasi immobiles au milieu de la
piste. Elle mit sa main sur mes fesses, et doucement entreprit de relever ma
jupe. Un mouvement, un geste contraire….
Elle lèche mon cou, me dit :
– Laisse.. laisse faire ..
Sans cesser de danser, de bouger doucement nos hanches, elle continue de
remonter ma jupe. Il me semble flotter dans un rêve atlantique ,être sirène
du fond des mers, pécheresse de trésors remontant ses filets pleins
d’étoiles de mer. Elle caresse mes fesses maintenant nues, mes bas. Elle
exhibe cette nudité que je lui réservais. Ces trésors de petite bourgeoise
qui se veut vicieuse et rase son sexe et sort pour son amante sans culotte
sous la jupe large qu’elle pourra remonter et qu’elle a justement, troussée,
là, sur cette piste de danse, pour dire à toutes que je lui appartiens que
je ne suis qu’une petite salope qui montre son cul, qui met des bas noirs,
et que l’on peut exhiber, embrasser, branler même… Elle a mis sa main contre
ma chatte… Je sens son doigt qui me cherche .Je le veux, le désire
violemment Je danse et me frotte et pleure doucement contre son cou .Elle
maintient ma jupe haut levée, danse, tourne, m’entraîne vers les toilettes,
un bout de corridor, une pièce grande et carrelée, havane. Au mur des
miroirs devant deux lavabos de marbre. Elle m’appuie contre le mur. Comme
elle m’appuyait parfois contre la porte de son petit bureau, prend ma main
et la met contre son sexe.
– Branle moi ! Dit elle
Elle a les yeux fixes, grands ouverts, traqués, heureux. Des yeux plus pâles
encore que d’habitude et où se lie une ivresse totale. Elle me fixe alors
que je la branle, deux doigts dans son intimité poisseuse, sans bouger,
appuyée contre moi de tout son poids de toute sa force, une jambe relevée,
genoux contre ma hanche. Elle a déboutonné mon chemiser. Elle fixe mes
seins. Mes yeux. Elle crie soudain. Elle pisse dans ma main. Elle crie
encore. Les yeux poignardés aux miens. Elle tremble, se casse. Une femme est
en train de se laver les mains et je surprends, dans le miroir son regard
qui nous observe.
Je l’ai reconnu ce regard. Je le connais.
Marion cette nuit là est venue dormir chez moi et nous avons tout au long de
la nuit échangé nos histoires et nos vies, nos baisers et nos caresses .
Elle vivait avec une femme à laquelle elle était très attachée, quelle
aimait vraiment. Elle ne comprenait pas ce qui se passait entre nous, mais
elle ne voulait pas que cela se termine, elle voulait au contraire,
disait-elle que nos violentes et muettes, brutales et brusques étreintes
deviennent pour nous de plus en plus lumineuses, évidentes, amoureuses. Bien
sur elle lui en avait parlé et son amie avait été plus que d’accord,
complice.

Et aujourd’hui je connaissais cette femme qui nous regardait dans le miroir
en se lavant les mains ; Je connaissais cette femme qu’elle aimait et pour
laquelle elle s’était jusqu’ici refusé à m’accorder des instants de vie
partagée, ne m’offrant que sa passion.

J’entendis Délia dans la pièce du bas.
Je venais sans m’en rendre compte de me faire jouir. J’allais prendre une
douche. Il était presque cinq heures. Je savais qu’en sortant de la salle de
bain, tout à l’heure, Délia m’attendra.
Quand je sortis, elle était là, sur le lit, nue.

Clairane44@hotmail.com
Première publication sur Vassilia, le 23/09/2001

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2 réponses à Delia – 2 – par Clairane

  1. Belinda dit :

    Superbe évocation des amours saphiques !

  2. Hélèna Sevigsky dit :

    Magnifique récit d’un amour lesbien torride

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