Ah ! Lapin ! par Nicolas (récit bizarre pour le concours)

 

Il se prénomme Charles-Henri, personne n’est parfait, mais les rares
personnes qui l’appellent par son prénom disent Charlie, nous ferons de
même.

Lundi 14 mai 2001 :

C’est ce matin là en se rasant qu’il constata le phénomène. Un très léger
duvet envahissait son visage au-delà des zones de pilosité traditionnelle,
et notamment sous les yeux.
La chaîne de réaction classique se déclencha :
D’abord : la stupéfaction :
– C’est quoi ce délire ?
Puis, la banalisation :
– Je devais avoir ça depuis plusieurs jours, je ne me suis pas rendu compte
!
La dédramatisation :
– De toute façon, ça ne peut pas être bien grave !
Et enfin la décision :
– On va raser tout cela ! Bien obligé !

Quand même cela l’intriguait ! Il retira sa robe de chambre afin de prendre
sa douche. Son miroir lui renvoya l’image de sa carcasse, un corps de
quarante ans, peu musclé, un peu bedonnant, désespérément banal. Il actionna
le mitigeur et s’aspergea d’eau tiède. Puis il se frictionna le crane de ce
soi-disant shampoing miracle qui était censé lui stopper la chute des
cheveux !
– N’empêche que ça va faire six mois, et que rien ne repousse, mais, bon, la
chute est peut-être enrayée !
Il se badigeonna ensuite le corps de gel, puis se rinça. C’est en s’essuyant
qu’il constata que sa pilosité corporelle s’était partout très légèrement
modifiée. Le  » duvet  » l’avait envahi. Affolé, il se livra à un examen
général. L’intérieur des membres, les genoux, les coudes, et… les mains…
même les mains… il y en avait partout !
– Non, mais ce n’est pas vrai ? Qu’est ce qu’il m’arrive ?
C’est alors qu’il eut l’idée de regarder son crane. Aux endroits où la
calvitie l’avait dégarni, un imperceptible mais néanmoins présent duvet
était bel et bien là !
– Ben vla qu’ça repousse ! C’est donc ça ! Ce putain de traitement à la con
qui se met à fonctionner au bout de six mois ! Mais alors, bonjour les
effets secondaires !

Mardi 15 mai 2001

Ce fut pire, bien sûr ! Le duvet avait gagné un millimètre, un millimètre
partout. Son crane avait d’ors et déjà changé de teinte, c’était sans doute
le seul côté positif de cette affaire ! Mais pour le reste ? Se raser le
front est assez inhabituel mais cependant facile, mais le nez, les oreilles,
l’arcade sourcilière… Vous croyez que c’est commode, vous ? Essayez donc
pour voir ! Et vous allez vous couper ! Alors évidemment Charlie se coupa.
Et puis il y avait les mains, des poils dessus passent encore, mais dans la
paume. Il était impensable de rester ainsi faute de quoi on finirait par le
prendre pour un singe ! Pas une seule parcelle de son corps ne semblait
épargné, même le sexe ! Comment réagirais Annette le prochain week-end quand
il la reverrait ?

Ah ! Oui on ne vous a pas dit, Charlie est célibataire, un célibataire
endurci comme on dit, il n’est pas trop porté sur le sexe, mais enfin il y a
un minimum. Et cela va faire un an, il a rencontré Annette, comme ça dans le
métro, ils sont devenus amants, ils ne se voient que les week-end. La
donzelle ne veut pas entende parler de vie de couple, prétextant que la
solution adoptée leur permettait de vivre ensemble les meilleurs moments et
de s’en épargner les pires !

Charlie téléphona à son travail, prétexta une obligation fortuite, et
demanda une journée de congé. Puis il attendis patiemment neuf heures, afin
de téléphoner au laboratoire qui commercialisait cette saloperie de vacherie
de lotion de m….

Une heure ! Une heure le cirque dura ! Et que je te passe quelqu’un d’autre
et que j’aille chercher un responsable, et que voulez-vous patienter, et
que… bref l’enfer ! La question était pourtant on ne peut plus simple :
– Avez-vous eu vent de situations similaires ? Et si oui, qu’est ce qu’on
fait ?
Et alors que l’adrénaline n’en finissait pas de monter et que Charlie
commençait à menacer son interlocuteur d’un splendide procès dans lequel les
associations de consommateurs se porteraient parties civiles, son
correspondant, sans perdre un instant son calme lui répondit doctement ce
qui suit :
– Mais mon cher Monsieur, comment voulez-vous qu’un shampoing appliqué
localement sur le cuir chevelu puisse avoir un effet sur l’ensemble de votre
corps ?
– Oups !
L’argument n’était pas si judicieux que cela, mais suffit à désarçonner
Charlie !
– Bande de connards !
Il raccrocha, puis pris rendez-vous chez un dermatologue, qui bien
évidemment n’était pas disponible avant une dizaine de jours.

Mercredi 16 mai 2001

L’invasion pileuse ne ralentissait pas et son corps se recouvrait
inexorablement d’un duvet de poils noirs. Mais il n’y avait pas que ça ! Une
curieuse douleur au niveau de son coccyx, le lui fit toucher ! Pour
constater avec horreur la présence d’une sorte de bosse. Paniqué, il se
regarda dans le miroir pour découvrir effectivement une excroissance
bizarroïde. Une boule se forma dans la gorge de notre héros qui entrepris
d’effectuer un examen-miroir complet. Il ne décela aucune autre anomalie, du
moins des anomalies évidentes, car il finissait par ne plus savoir trop,
tout lui paraissait suspect, ainsi il trouvait que ses oreilles avaient
grandi, mais il se dit qu’il devait se faire des idées.

Il se décida l’après midi de consulter son généraliste. La salle d’attente
était pleine à crquer ! Deux heures à  » patienter  » à s’angoisser, à
mijoter, à élucubrer, incapable de s’intéresser au contenu des articles de
journaux à sensations ou de conseils féminins qui trônaient à moitié mutilés
sur la petite table centrale. Il avait apporté son walkman, mais il ne
sentait même pas assez motivé pour se le brancher.

Le bilan que put faire le docteur ne décelait pas de nouvelles mauvaises
surprises, le cœur battait juste un peu trop vite et la tension était un
tout petit peu élevée. Sinon le praticien fit ce qu’il fallait pour avancer
le rendez-vous chez le dermatologue, ordonna une radio du coccyx, lui
prescrit des antidépresseurs et lui rédigea un arrêt de travail de deux
semaines. Tout cela ne rassura pas vraiment notre Charlie.

Jeudi 17 mai 2001

Jour de grande déprime, le duvet qui recouvre à présent le corps de Charlie
à atteint près d’un demi-centimètre. Il renonça à se raser, et pris la
décision de ne le faire que le lundi suivant, jour de ses rendez-vous
médicaux à la clinique. Pour Annette, il inventerait une excuse, il
trouverait bien !
L’excroissance de chair avait à nouveau  » poussée  » et se recouvrait,
elle-aussi de poils. Comme la veille il s’auto inspecta ! Décidément ses
oreilles l’inquiétaient, il voulut en avoir le cœur net, il les mesura, nota
le résultat, mais il trouvait le procédé peu fiable, il chercha autre chose,
eu un moment l’idée d’un moulage en plâtre, mais il trouva mieux. Saisi
d’une impulsion subite, il brancha son ordinateur et se plaqua son visage de
profil sur la vitre du scanner afin de numériser son oreille. Son image sur
l’ordinateur l’intrigua. Il chercha dans ses albums photos de quoi faire une
comparaison, mais renonça, il n’avait jamais été très  » photo  » !

Il n’avait pas encore déjeuné ce jour là, lui qui adorait l’odeur d’un bon
café au lait bien fumant et l’appétissante vision d’une paire de tartines
beurrées, cela ne lui disait rien. Il avait cependant envie de grignoter
quelque chose et finit par jeter son dévolu sur une belle pomme bien verte,
une grany bien lustrée ! Il l’attaqua par le devant de la bouche, là où sont
les incisives.
– Aïe !

Il n’y a rien de pire qu’un mal de dents, mais celui là fut inattendu. Ses
gencives saignaient, la douleur était insupportable. Il du prendre plusieurs
aspirines pour se calmer, puis obtint un rendez-vous en urgence chez le
dentiste.
– Bizarre votre truc, je vais prendre une radio, on verra bien !
Puis quelques secondes plus tard !
– Je n’ai jamais vu cela, vous avez deux grosses incisives qui poussent !
– Ah ! Et alors !
– C’est la première fois que je vois un truc pareil, je vais vous les
désensibiliser et ensuite on arrachera !

Vendredi 18 mai 2001

Ce matin là il se rasa encore, mais renonça à s’examiner davantage, il
sortit acheter un chapeau à large bord, des lunettes noires, des gants. Il
fallait bien s’organiser à présent, organiser sa vie de paria ! Il avait
l’impression de revivre sur l’écran les angoisses de l’homme invisible.
En rentrant, il y avait un message sur son répondeur, Annette avait un
imprévu ce week-end, et ils ne pourraient donc pas se voir. Voilà qui
tombait à pic, il n’aurait pas besoin de chercher de prétexte.

Le week-end fut épouvantable, il s’occupa comme il pouvait en effectuant des
taches de bricolages jusqu’ici négligées.

Lundi 23 mai 2001

La journée clinique : la radio confirma la croissance en cours d’un
appendice caudal semi-articulé prenant racine au coccyx ! Quant au
dermatologue, il en perdait son latin et rédigea une lettre pour un
distingué confrère avec lequel il était invité à prendre rendez-vous. A
peine rentré chez lui, déboussolé, désemparé, le téléphone sonna.
– Charlie !
– Oui Annette !
– On ne pourra pas se voir demain comme prévu, (c’était l’Ascension, jour
férié) en fait, il m’arrive un sale truc dans ma famille, je t’en
reparlerais davantage quand je pourrais, pour le week-end prochain, c’est
foutu aussi, je crois !
Elle avait les larmes aux yeux, Charlie compati à sa douleur, il était
attristé de la voir dans un tel état, même si quelque part cet impromptu
l’arrangeait !
– Charlie ?
– Oui Annette !
– Je t’aime Charlie ! Tu ne peux pas savoir combien je t’aime ! J’espère
qu’on se reverra !
Cette fois Charlie était vraiment bouleversé, il ne manquait plus que ça !
Il l’assura que l’amour qu’il lui portait était réciproque et la
conversation pris fin !

Il lui faudrait donc aussi tirer un trait sur sa liaison ave Annette ! Il
était illusoire de penser qu’elle accepterait cette  » mutation  » puisqu’il
fallait appeler les choses par leur nom.

Pourquoi lui ? Qu’avait-il fait pour subir une telle punition ? Il perdait
tout, jusqu’à son image et sa raison de vivre ! Il alla dans la salle de
bain, chercha de quoi en finir, peut-être pas maintenant, mais bientôt !
L’image de son visage l’horrifia, les oreilles avaient grandi, c’était à
présent évident, il n’avait même plus besoin du scanner pour s’en rendre
compte. Elle s’allongeait vers le haut, comme celle d’un âne. ! Ses
recherches furent infructueuses, il n’avait pas ce qu’il fallait !

C’est le soir, en regardant d’un œil distrait le journal télévisé qu’il
entendit l’abruti de service débiter d’une voix nasillarde et monocorde à
peu près ce qui suit :

 » Après la vache folle, et la fièvre aphteuse est-on au commencement d’une
nouvelle épidémie  » la mutation lapine  » ? Il semblerait que plusieurs cas
ait été signalé. Les symptômes seraient un développement anarchique du
système pileux, une mutation au niveau des oreilles, des dents et même de la
queue ! Il ne se rendit pas compte de son lapsus, mais son  » invité  » se
tordit de rire, ce qu’il finit par faire lui aussi !
C’était en effet très drôle !

Cette fois le ministère mis en place des moyens énormes. L’hypothèse de
l’origine alimentaire de la mutation fut bien sûr examinée en premier. Des
habitudes des victimes, il fut confirmé qu’ils étaient tous amateurs de
lapins, mais pas vraiment plus que le reste de la population. Les derniers
achats de lapin en boucheries et super marchés furent analysés, les
consommations de restaurants et de cantines aussi. On trouva ainsi quelques
élevages suspects. Il fut ensuite aisé de déterminer que ceux ci avait été
contacté par un mystérieux individu qui leur avait vendu une hormone censée
faire des lapins plus résistants, plus reproductif et plus rapidement
adultes. Puis l’affaire fut classée secret défense. On ne vit jamais le
visage du savant fou, on ne sut jamais ses motivations réelles. Mais le
gouvernement pu claironner son efficacité en la matière. On utilisa le sacro
saint principe de précaution et on interdit toute vente de lapin pendant
quelques temps en indemnisant les producteurs, et on mis en place des
mesures renforçant la traçabilité des lapins. Pendant une semaine toutes les
émissions de télé ne parlaient que de ça et c’est à qui mieux mieux que tout
le monde répétaient comme des perroquets savants : traçabilité – principe de
précaution – traçabilité – principe de précaution…

Restaient les victimes ! Il fut admis que le secret défense les couvrirait
eux aussi ! La mutation était sans doute irréversible, on ne savait pas trop
quoi faire pour eux, mais au moins leur fouterait-on la paix !

Mardi 5 juin 2001

Il avait depuis quelques jours pris l’habitude de se promener dans la ville.
Il prenait le métro, un peu au hasard, puis déambulait dans les rues,
trimbalant sa misérable solitude. Les nouvelles se voulaient rassurantes. La
mutation des sujets atteints ne progressait plus. La mutation physique, sans
doute, parce que pour ce qui est de la mutation comportementale, ce n’était
vraiment mais alors vraiment pas fini ! Et cela prenait des aspects par trop
insolites. Ainsi, alors qu’il cheminait dans une rue commerçante, il perçut
une odeur. Il se dirigea vers l’étale d’où provenaient ces émanations. Il
s’agissait d’un marchand de quatre saisons. Trop d’odeurs s’en dégageaient,
certaines agréables, gaies, joyeuses même, d’autres beaucoup moins. Il
faudrait qu’il apprenne à classer tout cela, mais l’acquisition de cette
sensation nouvelle lui plut ! Enfin un domaine où la mutation ne le
diminuait pas !
– Monsieur ?
– Pardon ?
– Vous désirez ?
– Oh ! Rien excusez-moi ! Je rêvais !

Dans quelle misère affective était-elle tombé, puisqu’on ne pouvait même pas
le laisser tranquille à humer innocemment l’odeur des carottes nouvelles ?
A regret il détalla, un autre bouquet d’odeur attira son odorat. Le
fleuriste ! Et cette fois, point de fragrances hostiles, mais trop de fleurs
sans doute. Pas assez de plantes un peu rustique. Il resta cependant un bon
quart d’heure à s’enivrer de ses parfums, puis préféra partir avant que l’on
ne l’invite à le faire. Du coup il sut ce qu’il souhaitait faire le
lendemain.

Mercredi 6 juin 2001

Il avait mis le radio réveil à sonner très matin. Il n’avait aucun
rendez-vous médical avant le milieu de l’après midi, c’était parfait et
après s’être rasé les poils du visage, il prit sa voiture, direction, la
campagne. Au bout d’une vingtaine de kilomètres il trouva ce qu’il
cherchait. Une longue prairie bordait la petite départementale, il s’y
arrêta, vérifia que l’endroit était désert puis se déshabilla complètement.
Il huma fortement le bouquet d’odeur environnant, et son cœur se remplit de
joie à la senteur de ces fragrances campagnardes. Il sut à ce nomment son
destin dans la prairie, mais ne savais pas ce qu’il serait !
L’herbe était encore saturée de la rosée du matin, il s’y allongea, s’y
vautra, si roula dedans. Tout son être s’imprégna du contact de l’herbe, il
communiait à ce moment là avec la prairie, son corps fut parcouru de
frissons, pour la première fois depuis sa mutation il était heureux, pour la
première fois depuis sa mutation son sexe se réveillait en une solide
érection. Plus il s’excitait de ce frôlement végétal, plus la sensation de
bien être le gagnait. Il finit par éjaculer dans l’herbe, la bite levée vers
le ciel. Il resta un moment immobile, puis se nettoya le sexe de quelques
brindilles humides.
En revenant à la voiture, il constata qu’un fossé traversait le pré à sa
limite, à un endroit la clôture s’en était un peu détournée laissant
quelques mètres carrés de terre envahis par les orties. Demain, il en
prendrait possession.

Jeudi 7 juin 2001
L’affaire fut plus difficile que prévu, peu habile dans les travaux manuels,
le maniement de cette pelle achetée pour l’occasion lui peinait. Il avait
prévu une matinée, il lui en avait fallu plusieurs. Mais aujourd’hui c’était
prêt. Derrière le mur d’orties, se dissimulait à présent un magnifique
terrier. Il l’avait prévu pour deux personnes, il n’envisageait pas de s’y
terrer seul. Il lui faudrait maintenant trouver sa lapine.

Jeudi 7 juin 2001 après-midi
Les projets ça aide à vivre ! Et il en avait à présent deux. Le premier
était de trouver l’âme sœur. D’autres victimes devaient être dans le même
état physique et psychologique que lui. Il s’étonnait que tous les toubibs
qu’il avait consulté n’aient pas eu encore l’idée d’organiser des
rencontres. Il ferait donc cette suggestion.
L’autre concernait Annette, son silence l’inquiétait, son téléphone ne
répondait plus, ses lettres restaient sans réponses. Il ne lui restait
qu’une solution, aller voir, il le ferait ce week-end, cela lui coûtait
énormément, les conséquences en seraient sans doute dramatiques mais il
voulait savoir ! Il s’occupa un peu en bricolant une sorte de porte en
contreplaqué, il s’en servirait pour fermer le clapier empêchant ainsi
d’autres bestioles de lui piquer son nid !

Vendredi 8 juin 2001
Le docteur était moins con qu’il ne le pensait. Des rencontres ? Non ! Mais
pourquoi pas un listing téléphonique sur lequel chaque patient aurait la
liberté de s’inscrire ? Le docteur s’enthousiasma pour cette idée et lui
promis de s’en occuper.

Samedi 9 juin 2001

Il n’y avait apparemment personne chez Annette, il eut l’idée de jeter un
coup d’œil dans sa boite aux lettres, elle n’était pas vide mais ne
débordait pas non plus comme le serait celle d’un occupant absent depuis
longtemps. Quelque part cela le rassura. Malgré son look bizarre, il osa
frapper chez un voisin !
– Je suis un ami de Mlle B ? Je pensais la trouver, elle habite toujours là
?
La mégère le toisa dédaigneusement :
– Bien sûr qu’elle est toujours là ! Elle est devenue bizarre votre copine,
elle n’ouvre plus à personne et puis elle pourrait être polie, elle ne sait
même plus tenir les portes, tenez, l’autre jour…
Charlie arrêta le flot de paroles
– Je vous souhaite de n’avoir jamais autant d’ennuis qu’elle, parce que vous
seriez sûrement pire ! Au revoir madame !
Il refrappa, cru entendre un léger bruit, mais c’était peut-être tout
simplement le chat. Tout était possible, partie faire des courses, partie
« ailleurs », partie faire dodo…
Il refit une autre tentative deux heures plus tard, puis une autre en milieu
d’après midi, il mit un petit mot dans sa boite aux lettres et quitta les
lieux dépité. La rupture était donc consommée. Il aurait préféré une autre
issu que cette indifférence. Son désir secret était en fait qu’ils auraient
pu rester amis malgré sa transformation physique.
Pour la première fois cette nuit, il dormit au clapier…

Mardi 12 juin 2001
Le listing téléphonique était prêt, il était bien court, en tout et pour
tout huit noms (seuls les prénoms étaient indiqués en face d’un numéro de
téléphone.) Avec un mélange d’amusement et d’agacement il constata que l’une
des ces femmes se prénommait Annette ! Par jeu il commença par appeler cette
dernière.
– Allô ! fit la voix
Charlie la reconnue aussitôt !
– Annette ?
– Charlie ! Mais qui t’a donné mon nouveau numéro ?
Ainsi tout s’expliquait, ils avaient été tout simplement contaminés ensemble
probablement en mangeant ce fameux lapin panné au Torino !
– Sur le listing, Annette, sur le listing
– Quel listing !
– Annette, moi aussi je me suis transformé en lapin, il faut que tu le
réalise !
– Oh ! Seigneur !
Elle sanglotait !
– C’était donc pour cela que tu me fuyais !
– Si j’avais pu savoir !
– Tu es où en ce moment ?
– Chez moi !
– J’arrive ! Tu m’ouvriras ?
– Bien sûr !

Charlie s’amusa de la réaction de la voisine de palier d’Annette qui cru
intelligent de sortir alors qu’il frappait et de l’apostropher :
– Vous n’allez tout de même pas revenir toutes les dix minutes frapper à sa
porte, on vous a dis qu’elle n’ouvrait à personne…
Sauf que cette fois la porte s’ouvrit et qu’avant qu’elle ne se referme les
deux amants étaient déjà dans les bras l’un de l’autre !

Annette était en robe de chambre, sa coiffure était cachée par un turban,
les poils de lapins de son visage étaient fraîchement rasés. Elle s’était
parfumé, elle sentait bon !
– Tu es conscient, Charlie du risque que l’on prend tous les deux,
aujourd’hui comme ça en se rencontrant ?
– Que veut-tu qu’il nous arrive de pire !
– Qu’on ne puisse plus se supporter ! Et à ce moment-là que nous
restera-t-il ? Rien ! Il ne nous restera qu’à crever ! Mais autant savoir !
C’est pour cela que j’ai accepté de figurer sur cette putain de liste. Pour
savoir si un autre lapin me supporterait. Et puis quand j’ai compris que
c’était toi le lapin, j’ai d’abord sauté de joie ! Mais maintenant j’ai
peur, peur de savoir comment tu va me découvrir dans quelques secondes.
Voici un discours de bienvenue qui me mettait bien mal à l’aise !
– Je n’avais pas vraiment envisagé nos retrouvailles comme une épreuve !
J’ai confiance !
– Ah ! Bon et bien vas-y régale-toi la vue !
Et ce disant elle se débarrassa rageusement de sa robe de chambre. Dans ma
pensée je l’imaginais comme moi, un lapin noir avec des poils lustrés. Et
bien non c’était un lapin roux, la mutation devait tenir compte des gênes
humains contenus dans le système pileux d’origine. Le turban vola lui aussi
! Plus aucun vêtement n’embarrassait son corps que les poils recouvraient
presque entièrement à l’exception des seins où malgré tout quelques duvets
épars jouaient les incongrus. J’avais beau la regarder dans tous les sens,
rien ne bloquait, au contraire, une relative tendance à la rigidité agaçait
mon sexe.
– Alors ?
Je ne répondis pas, beaucoup plus troublé que je ne pouvais l’imaginer
auparavant. J’avançais mes mains sur ses seins, elle se laissa faire, je les
caressais, en pinçais légèrement le téton, elle adorait ses caresses !
– Réponds-moi Charlie, je t’en supplie !
– J’ai envie de toi Annette !
– Comme une bête en rut !
– Non, Annette, je ne suis pas en rut comme tu dis, ma libido est même
tombée bien bas ces derniers temps, le seul orgasme que j’ai eu depuis ma
mutation c’est un matin en me roulant dans la prairie !
– Dans la prairie ?
– Oui !
J’entrepris de lui raconter, mais en même temps je me déshabillais sans trop
me presser, guettant son regard, je savais maintenant que son appréhension
n’était pas à sens unique !
– Tu sais que tu n’es pas mal dans le genre lapin ?
– Ne dis pas cela pour me faire plaisir !
– Je t’assure que non, Charlie ! Il se passe quelque chose ! Oh !
Annette se mit à pleurer ! Crise nerveuse ? Folie douce ? Autre chose ?
Allez savoir ?
– Parle-moi Annette !
– Charlie !
– Oui !
– Charlie !
– Oui, je suis là, dis-moi quelque chose ! Je vais me rhabiller si tu veux !
– Mais non ! Reste comme ça ! Oh ! Je t’aime Charlie, je t’aime !
Nous nous jetâmes dans les bras (dans les pattes) l’un de l’autre, l’émotion
me gagna à mon tour. Deux grands humano-lapinoïdes qui chialent de conserve
! Où a-t-on vu cela, même pas dans Roger Rabbit ?
Je lui caresse son pelage, c’est doux, forcément doux, un lapin c’est doux,
mais c’est ma lapine, alors c’est encore plus doux.
Annette me regarde, elle renifle ses larmes, elle sourit, elle rigole :
– Tu sais, Charlie…
– Dis…
– Quand j’étais plus jeune, mon fantasme c’était de faire l’amour dans un
manteau de fourrure. J’en ai jamais acheté, je suis contre ! Et de toute
façon je n’aurais pas eu les moyens ! Si j’avais su qu’un jour je le
réaliserais comme ça !
Elle rigole, je bande fort maintenant, mon envie de jouir est à son
paroxysme. Je voulais d’abord me contrôler, faire durer le plaisir pour que
nous puissions en profiter le plus longtemps possible, mais j’ai une autre
idée.
– J’ai envie de te prendre Annette, de te prendre très vite
– Prend moi !

Je pensais alors qu’elle me conduirait dans sa chambre ou tout du moins sur
le canapé. Non, elle s’étale sur la moquette, écarte les jambes, me sourit !
– Viens !

Je viens, effectivement, mon sexe pénètre le sien, sans préalable, mon désir
est au bord de l’éclatement, j’essaie de le retarder tant que je peux, de
ralentir mes mouvements, mais au lieu de me laisser faire, Annette se met à
onduler du bassin empêchant de ce fait tout contrôle ! Je jouis, elle aussi.
Elle a les larmes aux yeux, elle est rayonnante, ma lapine !
– On a baisé comme des lapins !
– Je n’en pouvais plus, excuse-moi d’avoir été si sauvage !
– Non, c’était bon ! Je te fais un petit café et après tu sais quoi ?
– Dis
– Je recommencerais bien !
– Ce n’est pas un problème je me laisse faire !

Après ce coït sauvage, nous avions besoin de parler, et nous l’avons fait
longtemps, buvant du café, croquant des gâteaux secs
– J’adore croquer maintenant, avant je n’aimais pas trop !
– Et moi tu va me croquer ?
– Tout cru !
Elle se lève un moment de sa chaise, s’approche de moi, me tend ses lèvres,
nous nous embrassons de nouveau. Puis sa bouche se fait baladeuse, elle
m’embrasse le bout du nez comme elle l’a toujours fait, puis les paupières.
Hummm ! J’adore cette tendre caresse ! . Et puis la voilà qui m’agace les
oreilles, mes oreilles de lapins, elle s’amuse à en lécher l’extrémité
pointue avant de pénétrer dans le pavillon où elle tournicote de la langue.
Ça chatouille, je me mets à rigoler.
Elle me caresse le torse :
– Qu’est ce que tu as fait de tes tétons ? Ils sont planqués ?
– Cherche ! Tu va bien les trouver !
– Bien sur que je vais les trouver
Et justement elle en trouve un, me le serre entre ses doigts, très fort,
j’adore cette caresse, et lapin ou pas, elle me fait de l’effet, ma bite se
redresse, elle s’amuse, elle fait subir le même sort à l’autre téton, je
ferme les yeux de plaisir, je me laisse faire, j’ai envie qu’elle s’occupe
de moi, une main descend vers mon sexe, elle me masturbe du bout des doigts,
puis en approche son visage, elle me lape d’un grand coup de langue de la
base du pénis jusqu’à son extrémité, plusieurs fois de suite, puis les coups
de langues se font plus courts et se concentrent sur le gland où déjà une
goutte de pré jouissance vient à perler. Elle pose enfin ses lèvres mais
sans encore sucer, elle m’emprisonne de sa bouche continuant son balayage
avec son petit bout de langue.
– Tu veux que je te fasse jouir comme ça ?
Je suis surpris, elle ne l’avait jamais fait, certes elle me suçait, mais
jamais  » à fond « , j’ai peur qu’elle me demande ça uniquement pour me faire
plaisir sans que ça la branche de trop, mais comment dire ça, en étant aussi
excité ?
– Alors tu as perdu ta langue ? minaude t-elle.
– Je ne voudrais pas que…
– Tais-toi !
Elle se remet en position, la même, assurant la rigidité de mon sexe, puis
elle se met à pratiquer des mouvements de succion, tandis que ses deux mains
s’accrochent à mes tétons. Bon dieu, c’est trop bon, à ce régime là je vais
éclater.
– Je vais jouir Annette !
Pour répondre, il faudrait pour cela qu’elle me lâche. Mais elle ne me lâche
pas. Je jouis, mon sperme se répand dans son palais. Elle continue quelques
instants, ralentissant son rythme, puis balayant largement ma verge de sa
langue comme pour la nettoyer.
– C’était bon ?
– Super !
De façon incongrue, je me pose une question, son changement d’attitude face
à au  » sperme dans la bouche  » serait-il lui un effet secondaire de notre
mutation ? Quelque part cela m’embête un peu !
– Je peux te poser une question ?
– Bien sûr !
– Tu n’aimais pas cela avant…
– La question n’est pas là, je voulais te donner une grosse, une très grosse
preuve de mon amour !

Aïe ! Je fonds ! J’ai du mal à cacher mon émotion, on s’enlace, délicatement
je l’assieds sur sa chaise, puis a mon tour je pose mon visage entre ses
cuisses, elle les écarte, elle m’attend, son clitoris est tout érigé de
plaisir, je donne de petits coups de langue dessus et comme elle l’a fait
avec les miens, de mes mains je lui serre les tétons, ses beaux tétons roses
que la mutation a épargné. Son entrecuisse est dégoulinante de mouille. De
façon insolite je pense à la douche que nous prendrons ensemble quand se
sera fini, afin que nos liqueurs ne sèchent pas sur nos poils.
La respiration d’Annette devient saccadée.
– Vas-y ! Vas-y !
J’accélère mes coups de langue !
– Oh ! Oui, c’est bon, c’est bon !
Encore un peu
– Ahhhhhhh ! Je t’aime Charlie, je t’aime ! Ah ! Lapin !
Encore une fois nous nous enlaçons, encore une fois une intense émotion nous
gagne
– Je t’aime Annette !

– Charlie ?
– Oui !
– Cette nuit je veux dormir avec toi !
– Ce n’est vraiment pas un problème !
– Oui mais dans ton terrier !
– Ce n’est pas un problème non plus…

– Tu as bien choisi, il ne passe pas grand monde sur ce bout de route !
– J’ai mis de la paille, et puis j’ai fais cette petite porte.
– Une porte pourquoi ?
– Mais pour les bestioles de s’y installer
– Mais voyons ce n’est pas nécessaire, il y a tellement plus simple !
C’est alors qu’Annette baissa son pantalon, s’accroupit à l’entrée du
clapier et entrepris de se vider la vessie devant mes yeux écarquillés !
– Annette, tu fais ça juste devant…
– Je sais ! c’est pour marquer notre territoire

C’est la nuit, il fait très noir, le ciel est couvert, nous sommes enlacés
l’un contre l’autre, nous avons refait encore l’amour. Annette s’est
endormie dans mes bras. Soudain alors que je m’endormais la voici qui pousse
un cri de terreur, je la rassure, la console :
– Qu’est ce qui s’est passé ?
– Rien, un affreux cauchemar…
– N’y pense plus ! Ce n’était qu’un mauvais rêve !
– Charlie, tu vas rire j’ai rêvé, tu veux savoir de quoi ?
– Dis
– Que c’était le jour de l’ouverture de la chasse !
– ???

FIN

Nicolas Solovionni – juin 2001
Première publication sur Vassilia, le 17/06/2001
Ce texte a obtenu le 3ème prix ex aequo du « concours des lapins » organisé
par notre site au printemps 2001

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5 réponses à Ah ! Lapin ! par Nicolas (récit bizarre pour le concours)

  1. Marinus dit :

    Une belle histoire dans le genre de celles qu’on se raconte à la fin d’un diner aux chandelles juste avant d’aller s’aimer !

  2. Baruchel dit :

    Génial, original, tendre

  3. Forestier dit :

    Belle histoire, soft mais originale et bien agréable à lire

  4. Roger roger dit :

    Solovionni est un merveilleux fabuliste

  5. bonello dit :

    je me demandais ce que pouvais donner ce récit peu critérisé, j’ai été agréablement surpris, ce n’est pas la grosse bandaison du dimanche mais c’est bon

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