The Great Pretender par Jeanette

C’est con, la vie. Etrange, pas logique. On passe des années à
poursuivre un objectif. On y sacrifie tout. Tout soi, et tout les autres. Et
puis un jour, on y arrive. On n’y avait jamais vraiment cru, ce n’était
qu’un étrange rêve, un « holy grail » impossible. Et puis, incroyablement, le
rêve se réalise, au-delà même des espérances, et on reste bouche bée,
ahurie. On attend l’explosion, le feu d’artifice. Et… RIEN. Eh quoi,
maintenant ? Alors, on se demande pourquoi, et on ne trouve pas de réponse.
Pourquoi j’ai fait tout ça, moi, pourquoi ? A quoi ça a servi ? Si au moins
je me sentais bien, mais non, le vide, l’indifférence, la lassitude. Ce qui
pour tant d’années avait tant d’importance, n’en a maintenant plus aucune.
Temps perdu. Temps perdu ne revient plus.

Alors, on change du tout au tout. On revoit des trucs. On délaisse ces
choses si importantes, et on s’adonne à des passe temps qu’on aurait trouvés
débiles il y a peu de temps. On devient critique sur Revebebe. On écrit des
histoires. On regarde de vieux films, on écoute de vieux disques, on lit, on
lit tous ces bouquins qu’on avait déjà lus dans le monde d’avant. On
retrouve des sensations, des sentiments, on revit, on réalise qu’on avait
arrêté de vivre depuis un bon moment. Mais c’est très dur de redémarrer,
parce que maintenant, on est quelqu’un d’autre. Un quelqu’un d’autre qu’on
n’est pas tellement sûr d’aimer…

On part à la chasse, à la chasse à soi, à la chasse à celle qui existait.
Est elle morte ? Qui sait ? Il y a des restes, mais bien lointains, bien
diffus… I can get NO… Satisfaction…

On recrée des liens, sans trop y croire. On se confie et on reçoit des
confidences… Mais bien sûr, ça tourne vite en eau de boudin.

Eh ben donc, je lisais une histoire sur Revebebe. Et des mots se changèrent
en sensations, en sentiments, en souvenirs. J’ai déjà senti ça. J’ai déjà
vécu ça. Où c’était ? Quand c’était ? Qui c’était ? Pourquoi cela se
refuse-t-il à moi ? Pourquoi l’ais-je effacé ? Pourquoi ais-je peur de le
revivre ?

Oh bien sûr… Renée !! C’était l’année de mes 18 ans. Mais bien
plus important que ma majorité et mon indépendance, c’était l’année ou
j’avais décidé que je m’en foutais de tous leurs principes, et que je serais
moi et seulement moi, et que si ça ne leur plaisait pas, ils pouvaient tous
aller se faire mettre.

Ce Vendredi soir, j’avais décidé d’étrenner ma voiture et mon permis tout
neufs, et de passer le week-end a la côte, toute seule comme une grande. Je
m’apprêtais à annoncer la nouvelle à ma grand-mère, mais elle me devança:

– Ton entraîneur a téléphoné, rappelle-le.

Mon entraîneur ? Ouais bon, elle y tient, Henriette. Elle aimait bien ça,
que je nage. Et il faut dire que j’aimais bien aussi. Ca avait commencé
d’une drôle de façon. Croyez le ou pas…

J’ai appris à nager dans un bouquin. Un vieux bouquin d’avant guerre trouvé
dans le grenier. Isolée dans le petit bassin (ou l’on a pied), j’avais
reproduit les mouvements décrits dans le livre, et miracle, à force
d’acharnement, j’étais arrivée à me propulser sans couler pendant 2 mètres,
puis 5 mètres, puis dix mètres. Je suis alors passée au grand bassin (ou
l’on n’a pas pied), et je l’ai traversé en largeur (12m50 !). Je savais
nager !! Passons rapidement sur quelques épisodes de quasi-noyade dus à des
imbéciles qui m’avaient coupé la route. Un an plus tard (j’avais alors 9
ans), j’étais capable de parcourir une longueur (33m), et j’étais donc une
nageuse accomplie.

Chaque Samedi me trouvait à la piscine de la Sauvenière, en compagnie de
quelque 500 autres gosses. La piscine était pleine à craquer, il fallait
bien étudier son coup pour sauter dans l’eau sans atterrir sur quelqu’un.

Me voila donc sur le bord, recherchant un espace libre, je le trouve, je
saute! Je disparais sous l’eau. Ouh! C’est froid! J’émerge, et un coup de
sifflet strident retentit. Un grand moustachu un peu frêle attifé de
l’uniforme blanc des maîtres nageurs me signale sans équivoque de sortir de
la flotte.

– Vous connaissez le règlement, Mademoiselle ?

– Oui, M’sieur! (J’ai aucune idée, mais du haut de mes neuf ans, ça me fait
tout drôle de m’entendre appeler « Mademoiselle »).

– Donc vous avez pris une douche ?

– Oui, M’sieur!

– Alors expliquez-moi pourquoi vos pieds sont noirs comme du charbon ? Et
votre cou ne vaut pas mieux! Retournez illico a la douche, et LAVEZ-VOUS.
Avec du savon!

L’humiliation, je ne vous dis pas! Après dix minutes sous une douche
bouillante, frottant énergiquement chaque centimètre de peau (pas de savon
en vue), je me repointe dans la piscine, et j’attends un long moment pour
trouver un GRAND espace libre. Il va voir, le connard! Je saute, et je fonce
dans ma version du crawl parfait. Après plusieurs collisions, mais près de
15m plus loin, je m’arrête, hors d’haleine. Pour entendre un autre coup de
sifflet. Le même mec me fait signe de sortir.

– Ca vous intéresserait d’apprendre à nager, Mademoiselle ?

– Je sais nager, M’sieur!

– Oui bon, je veux dire nager, pas éviter la noyade. Et peut être même faire
de la compétition, vous savez, des courses ?

– Oui, M’sieur!

– Alors pointez-vous ici le Lundi 5 Septembre à 19h. A l’entrée, dites que
vous venez pour l’école de crawl.

Et bien sûr, je me suis pointée, et ma vie a changé. La petite anguille
filiforme passa trois soirées par semaine à l’école de crawl, et elle en
apprit, des choses. D’abord, le crawl, ça ne se nage pas avec la tête
au-dessus de l’eau. Et puis, les jambes, ça sert à quelque chose. Et puis,
si on ne sait pas nager un kilomètre, on ne sait PAS nager!

Après une année de cours, je fus invitée en bonne et due forme à joindre le
CLUB, cela accompagné d’un cadeau mirifique et extraordinaire, une petite
carte qui me permet d’entrer à la piscine n’importe quel jour à n’importe
quelle heure sans débourser un franc!

J’y ai foncé, dans ce truc, à fond ! Et j’en ai appris plus encore. La
monotonie des longueurs qui s’ajoutent aux longueurs. La fatigue. La
douleur. L’interval training qui vous vide les tripes. Ma première course,
un cent mètres libre. « Tu pars à fond. Au cinquante, tu accélères ». « Oui,
M’sieur Jean! » Aux cinquante, j’étais largement en tête. Puis tout d’un
coup, l’effondrement, la douleur dans tous les membres, une absence totale
de coordination, un pauvre petit corps dévasté qui se débat d’une façon
pitoyable. Dernière !!

Une seule fois, jamais plus ! La petite anguille prit du poids et des
muscles, de la volonté, et elle apprit à contrôler la douleur. Elle a gagné
une course. Puis une autre. Maintenant, elle les gagne toutes, et son
horizon s’élargit. Elle voyage avec Monsieur Jean en Hollande, en Allemagne,
en France. Une treize ans qui flirte avec la minute aux cent libre, ça ne
court pas les rues.

Elle a évolué, la Jeanette. Elle potasse son anglais pour lire les revues
Américaines et Australiennes, c’est là qu’elles sont, ses concurrentes. Et
Dieu qu’elle se plait bien dans sa vie de petite vedette. Jusqu’au jour…

A l’age de 14 ans, en moins de neuf mois, je grandis de 10 centimètres, et
pris 20 kilos. Et surtout, je me poussai une magnifique paire de nichons.
Désastre total. Disparue, la petite anguille. Moins hydrodynamique, tu
meurs! Terminés, les espoirs olympiques! J’ai laissé tomber. Oh, je me
pointe encore au club deux soirées par semaine, je nage toujours le cent en
une deux, une trois, mais bon…
– Bonsoir, M’sieur Jean… Jeanette…

– Bonsoir, Jeanette. Je m’excuse de t’appeler comme cela au pied levé, mais
je suis plutôt dans la merde… Nous avons une compétition interclub a
Namur. Florence et Lisiane sont malades, Roberte a ses règles… Bref, je
n’ai personne pour nager le 400. Je sais que ça ne te dit pas grand chose…

– Pas de problèmes, M’sieur Jean. Un 400 de plus ou de moins…

– Merci, Jeanette, c’est gentil! On démarre à 18h…

J’ai donc emballé mes trucs, comme je l’avais fait des milliers de fois. Mon
maillot, mon training, mes essuies, et j’ai marché jusqu’au boulevard de la
Sauvenière. Un bus, comme d’habitude, mais trop petit, comme d’habitude.
Heureusement, il y a une flopée de parents volontaires avec leurs voitures,
comme d’habitude.

Namur. Leur petite piscine qui sent le chlore. L’ambiance habituelle que je
regarde de l’extérieur. Les messieurs distingués le chrono a la main. Les
coups de pistolet des départs. Les parents dans les gradins, encourageant
leurs gosses. J’ai nagé mon 400, je l’ai gagné, juste un chouia en dessous
des cinq minutes. Pas mal, pour un vieux cheval. M. Jean était content.
Après, je me suis éclipsée vers la buvette, où j’ai bu une orangeade. Pas de
bière, exemple oblige. Il commençait à se faire tard pour les gosses, donc
le bus a quitté, et les plus vieux se sont rassemblés pour le match de water
polo. Plus d’enfants aux alentours, je sirote ma bière. Le match fini, je me
dirige vers les vestiaires, il semble que je sois la seule femme qui reste.

Mais non. Renée est toujours là. Renée D. Une rousse de ma taille, mais avec
vingt kilos de moins. Quand j’y repense, elle avait un corps de rêve, Renée.
Une longue liane sensuelle et de magnifiques petits seins pommes qui
n’étaient pas si petits que ca. Mais alors, au-dessus de tout ça, un visage
maigre et ingrat, et des cheveux filasses. Pas belle du tout. Un repoussoir.
Et sa famille, fallait se la payer. Ses parents, qui avaient l’air plus
vieux que tous les autres. Sa sœur Guillaine, une affreuse affublée de
nymphomanie, qui se faisait baiser par n’importe qui dans n’importe quel
coin. Mais alors, le max, c’était l’évènement récent. On ne l’avait plus vue
depuis plusieurs mois, la Guillaine. Et tout d’un coup, la maman accouche
d’un petit frère. A 51 ans, excusez du peu! Tout le monde a compris, ça a
été une rigolade monumentale !

Renée est assise dans un coin, les coudes sur les genoux, les poings sous le
menton.

– On m’a piqué mes affaires!

Je sors sans un mot, retourne à la buvette.

– Qui a piqué les vêtements de Renée ?

Le grand Léonce s’esclaffe.

– Elle n’a qu’à venir les rechercher elle-même, l’affreuse. Si elle montre
son cul, on les lui rendra!

Je vois rouge. Léonce a beau faire 30 kilos de plus que moi, je lui fonce
dessus, lui plante mes nichons dans la poitrine, tord le devant de sa
chemise sous son menton, et l’accule dans un coin, mes yeux plantés dans les
siens. Il rigole, et force son genou entre mes jambes. Puis il réalise.
Qu’il n’est pas en train de gagner un concours de popularité…

– Vas te faire enculer, Jeanette! Les voilà, ses trucs!

Je ramasse le sac et retourne au vestiaire. Renée se jette dessus comme la
misère sur le pauvre monde.

– Allez, viens prendre une douche, on pue le chlore!

Je me fous à poil, mais Renée très prude prend sa douche en maillot. Après,
elle me tourne le dos pendant qu’elle se déshabille. Je vois ses petites
fesses serrées, mais je n’en ai rien à foutre, ça ne m’intéresse pas. Encore
une soirée de ratée. J’aurais du être à Ostende, à cette heure. Nous sortons
du bâtiment, et nous trouvons en face de mademoiselle Machin, qui sert de
secrétaire au club.

– Je le savais, qu’il en manquait deux dans mon compte! Nous avons failli
partir sans vous, mesdemoiselles!

Pour la Limousine, on repassera. De nos jours, on appellerait ça un van. A
l’époque, c’était un genre de camionnette, deux places à l’avant, l’arrière
pour les marchandises. Bien sûr, le siège avant est réservé à mademoiselle
truc. Mais le proprio est bien gentil: « C’est plutôt dur et plat, comme çà,
sans sièges, mais j’ai quelques couvertures. »

La camionnette s’ébranle. Le bruit est assourdissant. Tant bien que mal,
nous arrangeons les couvertures et nous adossons au compartiment moteur qui
vibre. Renée est à un mètre de moi, tout au bord de la couverture. On roule.
Puis je vois son corps qui remue, qui tressaute. Elle sanglote. Bien
proprement, avec un minimum de bruit. Ben y manquait plus que ça! Tu parles
d’une soirée! Puis doucement, je réalise ce que ça doit être, de vivre la
vie de Renée D. Avec son père, ce grand poireau ahuri, sa mère, cette
vieille grenouille de bénitier toujours en noir. Et sa putain de sœur. Et
pourtant, elle est bien gentille, Renée, on peut toujours compter sur elle
pour n’importe quoi. Je prends sa main, et elle me la serre. Je l’attire
contre moi, elle met sa tête sur mon sein gauche, et elle pleure
silencieusement. Après quelques minutes, mon sein est tout chaud et tout
mouillé. Elle n’arrête pas. Je caresse ses cheveux, sa joue toute mouillée.
Je la serre contre moi, sa joue contre la mienne. Je suis triste pour elle,
je voudrais qu’elle cesse de pleurer. Ca coule sur mon menton, je lèche,
c’est salé.

Je ne saurai jamais comment c’est arrivé. Nos joues mouillées étaient l’une
contre l’autre, nous étions secouées par les cahots, les coins de nos lèvres
se sont touchés, puis plus franchement, puis deux bouches ouvertes se sont
collées l’une contre l’autre, deux langues avides se sont enfoncées et
entrelacées, et nous étions là à nous dévorer comme deux cannibales, aussi
acharnée l’une que l’autre. Au dehors, les lumières jaunâtres défilaient, et
la cabine passait du noir total à la lumière aveuglante. Par à coups, je
voyais ses yeux ouverts sur le vide. Je suis sûre qu’elle était comme moi,
morte de gêne et de honte, mais emportée par ce malstrom, cette pulsion. Un
cahot plus fort frotta son avant bras sur le bout de mon sein, et les
sensations explosèrent. Je saisis à deux mains ses petites pommes, les
écrasai sans pitié, et elle se cambra, la bouche ouverte, la tête en
arrière, le bassin qui s’agitait dans le vide. Je mangeais sa bouche. Dans
mes paumes, je sentais ses pointes dressées tout comme les miennes, je
lâchai ses seins, pris ses mains, et les écrasai sur mes nichons. Nous
étions là à nous pétrir les seins et à nous manger la bouche, deux corps qui
n’étaient plus que sensations, au-delà de tout contrôle. Dans la mêlée, sans
le faire exprès, je le jure, mon genou frappa son pubis, et elle explosa
dans un râle, se frottant frénétiquement contre ma jambe. Ma bouche
étouffait ses cris, et enivrée par cette puissance nouvellement découverte,
ma jambe la pilonnait sans pitié, ses soubresauts généraient chez moi des
sensations indicibles. Elle finit par s’effondrer comme une poupée morte.
Couchées, serrées l’une contre l’autre. Après un long moment, nos bouches se
retrouvèrent, légèrement, gentiment. Nous nous léchions les lèvres, nous
nous bécotions, avec parfois une langue qui s’enfonçait profondément.

C’est pas bien long, 60 kilomètres. Le gentil monsieur et la secrétaire nous
déposèrent Boulevard de la Sauvenière, comme c’était leur devoir, puis s’en
furent. Il est passé minuit, et la ville est déserte. Renée habite dans le
haut de Ste Marguerite, et moi dans le quartier Longdoz. Diamétralement
opposé. Ca aurait pu finir comme ça, chacune enfermée dans sa gêne et sa
honte. On serait parties chacune de notre côté, puis on se serait évitées.
Mais Renée me prit par la main, et je la suivis comme un petit chien. Elle
m’emmena pas loin, place Xavier Neujean, toute noire et sombre, et me colla
dans l’encoignure d’une porte. Sans doute qu’elle n’aime pas avoir des
dettes, Renée. Alors que nous sommes reparties dans nos grosses papouilles
mouillées, une de ses cuisses s’introduit entre les miennes, et elle me rend
le massage malhabile qu’elle a reçu dans la camionnette.

Ses yeux. Ses yeux sont plantés dans les miens, pas moyen d’y échapper. Ils
m’interrogent, observent mes réactions. J’ai comme l’impression qu’elle
ressent avec moi ces sensations trop sourdes. Je n’y tiens plus, prend sa
main, et la plaque sur ma chatte, à travers les jeans. Elle masse, masse,
puis s’arrête, défait ma ceinture, descend mes jeans et ma culotte, tout en
bas sur mes souliers. Le vent froid de la nuit me caresse les fesses. Sa
main touche ma broussaille trempée, se retire brusquement, puis revient et
masse, masse, et les sensations montent. Oh, c’est bon, c’est bon, je
halète, je produis des sons, Ah, Aaah, mes jambes tremblent, j’enfonce ma
tête dans son cou, et j’y vais de ma longue plainte. Comme effrayée, Renée
retire sa main, alors que je lui lèche le cou. Instinctivement, ma chatte
s’écrase contre sa cuisse, mouillant ses jeans. Fébrilement, je défais sa
ceinture. En quelques secondes, elle est dans la même tenue que moi, et
c’est à mon tour de la masser. Elle ne résiste pas longtemps, elle
tressaute, et j’écrase ma bouche contre la sienne pour étouffer son cri.

Son tremblement s’est arrêté. Nous sommes serrées l’une contre l’autre, et
le vent de Novembre nous rappelle à la réalité. Deux jeunes filles, jambes
nues, la chatte à l’air, la culotte sur les souliers. Nous nous rhabillons à
la vitesse grand V.

– Demain, l’entraînement de midi ?

– Ben oui…

Elle s’en va, réajustant ses jeans…

Il y a bien longtemps qu’on ne m’y a plus vue, a l’entraînement du Samedi
midi. J’ai longtemps hésité avant d’y aller, et je me demande toujours
pourquoi j’y suis allée. Un de ces cas où on fait quelque chose sans en
avoir bien envie et en se demandant pour quelle raison on le fait. Renée
aligne ses longueurs, et je m’assieds en face d’une bouche d’air chaud, en
attendant qu’elle ait terminé. Elle finit par sortir de l’eau, ruisselante
et hors d’haleine, le bout des seins bien visibles sous la fine étoffe du
maillot de compétition. Elle me passe devant comme si je n’existais pas, et
se dirige vers les douches. Pas un regard, pas un sourire, pas un bonjour.
Non, trop c’est trop! Ca m’apprendra à faire la conne! En un clin d’œil, je
redescends au vestiaire, me rhabille, et sors. Je marchais à grands pas
lorsque la Renée surgit à mes côtés, essoufflée, pas peignée, les cheveux
toujours trempés. A voir sa tête, elle est sur le point de se mettre à
pleurnicher. Je marche. Elle me tire par la manche.

– Jeanette…

– Eh merde, Renée, va te faire foutre!

– Jeanette… j’avais peur qu’on nous voie…

– Quelle conne!

– Jeanette, qu’est ce qu’on fait ?

Je me le demande bien, ce qu’on fait. Je ne le sais pas, ce que j’ai envie
de faire. Peut être l’envoyer au diable et rentrer. Son petit visage
implorant me regarde, alors qu’elle s’efforce de marcher aussi vite que
moi.

– Tu veux aller au cinéma ?

C’est moi qui ai dit ça ? Pourquoi ? Quelle idée !

– Oui, n’importe où !

Le cinéma. C’est l’invitation classique des mecs qui veulent vous peloter
dans l’obscurité. Nous voilà au « carré », le bout de la rue Cathédrale où se
trouvent tous les cinémas. Je choisis le film le moins populaire.

– Deux premiers balcons, s’il vous plait.

Je paye pour nous deux. Renée n’a jamais un franc, c’est bien connu. Les
balcons sont un reliquat de l’époque où la TV n’existaient pas, et où les
salles de cinéma étaient pleines. C’est moins cher, mais peu de gens y vont,
de nos jours, l’écran est trop éloigné. L’ouvreuse nous guide dans les
escaliers, et nous nous installons au milieu du premier rang. Il fait chaud.
Renée a une ridicule canadienne rouge et jaune, et j’ai ma veste en cuir.
Nous les enlevons, et les déposons sur les sièges adjacents. Sur l’écran, un
couple dans une voiture qui roule dans la nuit. Un cycliste apparaît dans
les phares, et le chauffeur fait un écart pour l’écraser. « Natural born
killers ». Renée prend ma main, et nous suivons le film pendant plusieurs
minutes. Puis sa tête se tourne vers moi. Tout naturellement, ma bouche se
pose sur la sienne, et ma langue s’enfonce. Nous nous embrassons, longtemps,
longtemps. C’est étrange, les baisers. C’est bien peu varié, mais on ne s’en
lasse jamais. Ma chatte s’humidifie, puis je commence à mouiller comme une
fontaine. C’est trempé, glissant, visqueux, entre mes cuisses. Peu à peu,
nos mains s’égarent sur nos seins respectifs, malhabiles, mais déclenchant
ce genre de sensations qui rayonnent et vous descendent profond dans le
ventre.

Soudain, Renée me repousse. Elle regarde autour d’elle avec insistance, le
visage inquiet. Puis les yeux fixés sur les miens, elle descend les mains
sur le bas de sa blouse, et commence à la relever. Elle s’arrête en chemin,
incertaine, puis reprend son lent mouvement. Sa gène, sa peur sont bien
visibles. On sent qu’elle se force, qu’elle combat ses propres gestes. Puis
d’un coup, brusquement, elle relève tout jusqu’au cou, emportant son soutif
au passage, et ses deux pommes descendent. Une offrande…

Ses aréoles roses sont boursouflées de petites protubérances. Ses tétons
sont dressés comme deux petits sexes. En moi, quelque chose d’inconnu prend
la relève, et ma bouche s’écrase sur son téton gauche. Je l’aspire comme si
je voulais prendre tout son sein dans la bouche. Je le léchouille, je le
suce, je le mordille. Ma main saisit son sein droit, et le pétrit. Je
toiture son téton entre le pouce et l’index, je le pince cruellement. Elle
rejette la tête en arrière, son bassin s’agite dans le vide, et des
sensations étranges et nouvelles envahissent mon ventre et mon dos. Les sons
s’échappent de sa bouche, et je la couvre de la mienne pour les étouffer.
Nos baisers reprennent, nos mains se tiennent.

L’écran projette sur nous un kaléidoscope de lumières sans signification.
Des sons étranges et violents frappent notre indifférence. Le film se
poursuit, sans nous.

Renée reprend l’initiative. Une fois de plus, son visage craintif fait le
tour de la salle. Elle se lève, me prend par le coude, me fait lever. Ses
mains s’énervent sur ma ceinture. Je la repousse gentiment, la défait
moi-même, et descends mes jeans jusqu’à mes pieds. Tout en me regardant,
elle fait de même. Nos mains s’égarent dans les broussailles. Je la
rassieds, et lui recouvre les genoux de sa canadienne. Je me cache moi-même
avec ma veste. Nos mains. Nos doigts. Nos moules. Nos seins. Nos lèvres. Nos
langues. Nos frissons. Nos cris. Notre bonheur. Notre bonheur dément.
Notre… amour.

Le film s’est déroulé une deuxième fois, puis une troisième fois. Il est
près de finir, et des gens commencent à entrer pour la séance de huit
heures. Avec mille précautions, nous remontons nos culottes et nos jeans,
rattachons nos ceintures. La salle s’éclaire d’une lumière crue. Nous nous
levons, et le désastre apparaît. Le velours rouge de nos sièges est noir,
trempé de mouille. Le fou rire nous prend, et nous nous éclipsons en
vitesse. La seule chose dont je me souviendrai jamais de « Natural born
killers » est l’épisode du cycliste.

Je reconduis Renée jusqu’à chez elle, en lui tenant la main.

Je rentre chez moi, soupe avec mes grands-parents, poursuit des
conversations mécaniques. Je prétexte un mal de tête et me fous au pieu.
Qu’est ce qui m’arrive ? Qu’est ce que j’ai fait ? Comment tous ces gestes
étranges et délicieux sont-ils sortis de moi, sans prévenir ? Le visage de
Renée, éclairé par saccades par les lumières violentes de l’écran danse
devant mes yeux. Mon poing s’introduit entre mes cuisses, et je me secoue
sans pitié. Mais rien ne vient. J’insiste, frustrée, violente, brutale, et
tout d’un coup, j’en CREEEEEEVVEEEEEEEEE!!!!!!!! Ma langue sort de ma bouche
a la recherche de la sienne, mais ne rencontre que le tissu sec de
l’oreiller que je serre. Son visage fonce vers le mien a toute vitesse, et
je ne vois plus que ses yeux. Puis le noir.

Le dimanche, je ne la vis pas.

Le Lundi, entraînement du soir. Nous quittons séparément, et nous retrouvons
au pied de ce grand escalier tri-centenaire, qui joint le boulevard de la
Sauvenière au quartier St. Severin. Je la reconduis chez elle, nous marchons
la main dans la main. En vue de sa maison, elle me fait faire demi-tour,
m’attire dans une petite rue déserte et sombre ou nous nous embrassons, nous
pelotons, et jouissons dans la main l’une de l’autre.

Le Mardi, dans les longs escaliers, nous découvrons un urinoir public, à
peine éclairé. Nous jouîmes dans l’odeur obsédante de vieille pisse.

Mercredi. Nous montons l’escalier lorsque des pas pressés retentissent
derrière nous. Le grand Léonce.

– Salut, les gouines! Vous allez encore vous branler dans le pissoir ? Ca va
faire sensation, au club, quand je raconterai mon histoire! Mais je pourrais
me taire, si vous êtes bien gentilles…

Ca explose dans ma tête. Une explosion de haine. Je cours vers lui, les bras
en avant, mes poings percutent sa poitrine, il part à reculons. Son dos et
sa tête frappent le mur, mes mains se serrent autour de sa gorge.

– T’ouvres ta gueule, j’te crève, t’entends ? J’te crève !

Léonce s’enfuit, descendant l’escalier quatre a quatre. J’ai les jambes en
coton. Je tremble, je halète, envahie d’une abjecte terreur rétrospective.
Péniblement, j’atteins l’urinoir, baisse mes jeans, et lâche un grand jet de
pisse. Je sanglote. Je hoquète. Renée me relève, me rhabille. Nous reprenons
notre chemin, ma main droite serrée dans sa main droite, son bras gauche me
serrant la taille sous ma veste. Près de chez elle, elle m’entraîne dans un
petit parc que je ne connais pas. Nous nous couchons dans de hauts buissons.
Elle me bécote le visage, embrasse mes yeux. Une petite main douce caresse
longuement ma poitrine. Je me laisse faire comme une poupée sans vie. La
petite main s’introduit sous mes jeans, dans ma culotte, et me touche avec
une grande douceur. Son doigt explore ma fente, trouve mon bouton, et sans
le frotter, le pousse, le pousse. Une langue lèche mes lèvres, et
s’introduit dans ma bouche. Le petit doigt pousse et pousse, et loin de
l’explosion habituelle, de délicieuses sensations naissent au fond de mon
ventre, et rayonnent dans tout mon corps. Je suis loin, loin. La petite main
quitte ma moule et caresse mon visage, mes cheveux. Mes mains se dirigent
vers elle, mais elle les arrête gentiment.

-Non… demain…

Nous nous quittons sans rien dire de plus.

Jeudi. Alors que je la reconduis, il nous semble sans arrêt entendre des pas
derrière nous. Il n’y a rien ni personne, bien sûr, mais nous n’osons rien
faire. Je lui expose mon idée. Je l’invite à passer le week-end à la mer
avec moi. Partir le Vendredi soir, revenir le Dimanche soir. Deux jours et
deux nuits ensemble, rien que nous deux. Mais le problème, ce sont ses
parents. Majeure ou pas, elle doit demander leur permission, et ça
l’étonnerait fort qu’ils acceptent. Nous nous quittons avec une poignée de
main qui s’éternise…

Vendredi, 16h. Renée est au téléphone:

– Ils ont dit OUI !!

– Super ! Mais comment as-tu fais ?

– Ben… j’ai dit qu’on y allait avec ton grand-père…

Aie Aie Aie… Il a bien fallu mettre mes grands-parents dans la
confidence…

– Je n’aime pas du tout ça, Jeanette! Et s’il vous arrivait quelque chose ?
Nous aurions l’air de quoi ?

– Mais, grand-mère, elle est majeure, Renée ! Ses parents sont cons, c’est
tout!

– C’est ça insulte-les ! Non, j’ai horreur de trahir la confiance des gens !

Mon grand-père prend la parole.

– Je connais vaguement les D. Ce sont des cagots stupides.

– Mais enfin, Charles, tu ne vas pas prendre son parti !

– Mais enfin, Henriette, tu ne te rappelles pas quand nous nous sommes mis
ensemble ? Tu avais 15 ans et tu t’étais sauvée de chez toi. Et maintenant,
tu joues aux moralisatrices !

Henriette s’en va en en bougonnant. Nous avons gagné !

– Tu les connais vraiment, les D. ???

– Les D. ? Oh, je les connais depuis peu. Deux minutes en fait. Mais j’ai
entendu dire qu’ils étaient cons…

Je lui saute au cou, et sa grosse moustache drue me pique la joue.

Le téléphone. La mère de Renée. Mon grand-père prend l’appareil.

– Mais non, chère madame, c’est avec le plus grand plaisir.

– Mais non, aucune imposition. Nous adorons ces week-ends a la côte.

– Bien sûr, il faut se montrer vigilant. Mais rassurez-vous, nous le sommes,
comme il sied à des parents chrétiens.

Il raccroche.

– Tu observeras que je n’ai pas dit une seule fois que j’y allais… J’ai
sûrement des dons de voyance: ce sont des cagots stupides ! Et tu m’en fais
faire, des choses ! Me voilà chrétien, à présent !

Six heures, on sonne, c’est Renée ! Nous prenons la route. Charles s’est
activé au téléphone, il a réservé une chambre dans un hôtel de Blankenberghe
pour « sa fille et sa nièce », et il m’a pratiquement imposé un arrêt a
Bruxelles, pour souper dans un restaurant qu’il connaît très bien. Ca ne
m’enthousiasme pas, mais il a insisté. « Pour souper là », dit-il, « Il faut
réserver trois mois à l’avance! »

Nous roulons sur la vieille route de Bruxelles. Renée est malade
d’excitation. Elle me tend un billet.

– Maman m’a donné un peu d’argent de poche.

Je regarde, l’empoche sans mot dire. Vingt francs! De quoi s’acheter une
crème glacée ou un sachet de frites! Cette générosité m’ébahit. Bande de
pouilleux minables !

Bruxelles. Après avoir cherché longtemps, j’arrive à me garer sur la Grand
Place. Nous marchons vers l’adresse en question, qui s’avère être dans une
ruelle perpendiculaire a la Petite Rue des Bouchers. L’endroit ne paye pas
de mine. Une grande salle, des tables et des chaises disparates, le genre de
mobilier qu’on achète à l’armée du salut. Mais la salle est pleine, et les
conversations bruyantes vont bon train. La clientèle semble composée
d’hommes d’affaires sur le retour, il n’y a pas une seule femme présente, et
il semble qu’on ne parle que le flamand. Un homme en tablier blanc, la
serviette sur le bras, nous reçoit d’un air excédé:

– Alles is gereserveerd, Jufrouw ! (1)

– Monsieur, je suis la petite fille de Charles…

Si j’avais annoncé que j’étais la reine d’Angleterre, ça n’aurait pas fait
plus d’effet !

Deux serveurs se précipitent, recouvrent d’une nappe blanche la seule table
restante, étalent des couverts et des serviettes, et nous servent deux
longues et fines flûtes de kir. J’attends qu’on nous présente le menu, mais
au lieu de cela, on nous apporte l’entrée. Imaginez deux grands plats
circulaires, la circonférence ornée de cavités, où d’énormes escargots
baignent dans une sauce à l’ail odorante. Accompagnés de baguettes coupées
en tranches, et de deux petits verres d’un vin blanc aigrelet. Pour la
première fois de sa vie, Renée mange dans un restaurant. Nous engouffrons!
Le serveur emporte deux plats complètement nettoyés, il ne reste plus un
atome de sauce, nous avons tout épongé avec ce pain croustillant.

La suite me désoriente: quoi, une crème glacée ? Mais non, c’est un sorbet,
destiné à remettre en état nos papilles gustatives. La suite se pointe sur
deux larges assiettes. Un énorme steak, épais à souhait, accompagné de
haricots verts a la sauce blanche, et de fines tranches de pommes de terre
rissolées dans une sauce au fromage. J’avais souvent entendu parler de
« viande qui fond dans la bouche », mais pour la première fois, je constate
que cela existe. Ces trois choses se marient d’une façon exquise, le goût de
chacune d’entre elle renforçant celui des autres. Ajoutez à cela un robuste
beaujolais… Ce n’est plus manger, c’est participer à une expérience
sensuelle hors du commun.

Et la finale est digne du reste: Deux grandes crêpes suzette, flambées à
l’armagnac en notre présence. Et deux grandes tasses de ce que nous pensions
être du café, mais qui s’avère être un expresso à réveiller un mort.

Nous baignons toutes deux dans une béatitude hébétée. J’attends qu’on nous
présente la note, qui sera sûrement carabinée, mais rien ne se produit. En
désespoir de cause, j’attire l’attention de l’homme qui nous avait reçues.
Je fais l’effort de lui parler dans sa langue:

– Meneer, ik heb in mijn leven nooit zo goed gegeten… (2)

– Et hélas, vous avez raté le cognac. Mais Charles était formel, pas de
pousse-café !

– Pourrions nous avoir la note ? Il nous faut encore rouler jusqu’a
Blankenberghe…

– Mademoiselle, Charles ne paye pas, ici ! Et sa petite fille non plus ! Mes
compliments à Charles et à Henriette, et nous vous recevrons toujours avec
le plus grand plaisir !

Cela dit, il s’incline, saisit ma main et celle de Renée, et les baise avec
douceur.

Nous sortons, éberluées. Le froid du dehors nous saisit. Il a plu, et les
rues sont trempées. Il ne gèle pas encore, mais ça ne saurait tarder. Je
cafouille un peu pour trouver l’entrée de l’autoroute, mais finalement, nous
roulons vers Ostende. Après une vingtaine de kilomètres, la route devient
plus sèche, et avec l’inconscience de la jeunesse, je déchaîne la puissance
de la 323I. Renée jette des regards inquiets vers le compteur, attache sa
ceinture.

– Jeanette, tu ne penses pas que nonante, c’est un peu vite sur une route
mouillée ?

– CENT nonante, Renée. Cent nonante!

Elle en reste muette.

Nous trouvâmes l’hôtel sans trop de difficultés. Il est presque minuit, et
le préposé à la réception a l’air bien embêté:

– Votre réservation avait été mal enregistrée, Mademoiselle. Je suis
vraiment désolé, mais nous n’avons plus de chambres à deux lits.

– Plus de chambres ???

– A deux lits… Je puis vous donner une chambre avec un grand lit…

J’ai failli pouffer de rire. Je me tourne vers Renée:

– C’est vraiment ennuyeux! Ca ne te gêne pas trop, cousine ? Renée me
regarde sans y comprendre goutte.

– Bon, nous ferons avec ce qu’il y a… Mais quand même !

– Je vous donne une chambre avec vue sur la mer…

En fait de vue sur la mer, c’est plutôt une vue sur une obscurité totale,
agrémentée de rafales de pluie qui frappent violemment les vitres. A peine
le porteur nous a-t-il laissées, Renée se lance dans une exploration
détaillée. La salle de bain, les placards, les tiroirs, le bar, tout y
passe. On dirait un gosse dans un magasin de jouets. Je me déshabille
lentement et me retrouve nue. Je me plante devant elle alors qu’elle ressort
de la salle de bain. Elle me détaille de haut en bas. Sa main droite part
vers ma chatte, qui est déjà mouillée, mais je m’écarte et commence à la
déshabiller. En un clin d’œil, elle est nue. Nous nous regardons un moment,
puis nous serrons l’une contre l’autre. Nos langues s’enlacent, ses nichons
s’écrasent sur les miens, nos ventres se touchent. Elle est toute chaude,
plus chaude que moi. Nos mains s’égarent dans les broussailles mouillées et
commencent un lent massage qui bientôt s’accélère et devient frénétique.
Debout, les jambes tremblantes, nous jouissons dans la main l’une de
l’autre.

Pour la première fois, nous nous sommes vues. Pour la première fois, nous
n’avons rien à craindre. Je me sens submergée par une immense sensation de
liberté. Je la tire vers le lit, mais elle s’échappe, virevolte à travers la
chambre comme une petite fée, met la chaîne à la porte, ferme tous les
rideaux, s’éclipse dans la salle de bain, et revient avec deux grands
essuies éponges qu’elle étale entre les draps. Pas folle la guêpe! Nous
sautons dans le lit en rigolant comme des folles, Renée éteint les lumières,
mais je les rallume.

– Je veux te faire avoir bon. Je veux te regarder pendant que tu as bon…

Elle sourit, se couche, ferme les yeux. Je lui lèche les lèvres, ma bouche
descend sur son cou, tandis que ma main lui caresse le ventre. Je descends,
arrive à son téton, que je suce avec délice, alors que je titille l’autre,
puis le pince. J’abandonne son sein et ma main descend. Je m’infiltre dans
la fente, et y trouve un tout petit bouton tout bandé. Comme elle me l’a
appris, je le pousse avec douceur, encore et encore. Mais quand je vois ses
frissons, je commence à la masser aussi fort que je puis. Sa bouche et ses
yeux s’ouvrent, et j’y plante les miens. Elle a l’air affolée, des sons
sortent de ses lèvres, mais je la bâillonne de ma langue. Je ralentis, je me
fais gentille, ses yeux me donnent, me donnent… finalement ma main trempée
abandonne sa mouille, et en enduit son sein.

Nous sommes serrées l’une contre l’autre, les yeux maintenant fermés. Elle
reste un long moment sans bouger, puis éteint la lumière. Elle me donne de
petits bécots sur le front, baise mes yeux, picore mon nez, suce le lobe
d’une oreille. Sa bouche descend vers mon cou, où elle provoque de délicieux
frissons. Elle s’empare de mes seins, les lèche, les suçote, les taquine. Sa
langue descend le long de mon ventre, et s’agite dans mon nombril. Elle
continue à descendre lentement, léchant mon bas ventre, puis… NON! PAS CA
! Trop tard ! Sa langue s’introduit dans ma fente, ses mains se crispent
sous mes fesses, et je deviens la prisonnière de sensations inconnues qui se
propagent dans tout mon corps. La chaleur monte dans mon ventre, rayonne
dans mes seins. Je halète, et je murmure, et je grogne et je balbutie, et au
dernier moment j’écrase l’oreiller sur mon visage pour étouffer mes plaintes
et mes cris. Lentement, les délices s’éloignent de moi, alors que sa bouche
remonte le long de mon corps, et finit par caresser mes lèvres. Elle me
pousse. Relève mon bras gauche et s’en enveloppe, alors que sa tête se pose
sur mon sein et son autre bras sur mon ventre. Elle se serre contre moi.

– Je t’ai choquée ?

– Oui ! Non ! C’était trop bon !

Nous glissons lentement dans le sommeil. Mais doucement, Renée reprend,
presque chuchotant :

– Jeanette… Je suis heureuse… heureuse…

Je m’éveille dans le noir absolu. Elle est toujours collée contre moi, mais
une de ses jambes a remonté sur les miennes. Je suis prisonnière. L’essuie
éponge me picote désagréablement les fesses.

Quelle relation étrange que la nôtre ! En fait, je ne sais rien d’elle.
Jamais nous n’avons échangé plus de deux phrases à la suite l’une de
l’autre. Ensemble pendant des heures sans dire un mot, nous contentant de
nous toucher, de nous regarder, de nous tenir la main. Nous n’avons pas
besoin de mots. Et que de différences entre nous. Jeanette la grande gueule,
la brutale, la bavarde pleine d’assurance. Renée, la craintive, la taiseuse,
la douce, la timide. Jeanette qui s’explose dans des jouissances démentes.
Renée, qui crée cet univers de sensations subtiles. Jeanette qui décide, et
Renée qui suit. Et pourtant… Parfois, Renée prend l’initiative, et chaque
fois Jeanette lui obéit comme un petit chien.

Je m’éveille à nouveau. Renée s’est retournée. Son corps forme une petite
boule compacte, bras serrés sur la poitrine, genoux levés. Une vague lueur
baigne la pièce. J’ouvre tous les rideaux, et le bruit la réveille. La mer.
Déchaînée, comme on dit. La marée est haute, d’énormes vagues noires
frappent la digue, et par moments débordent sur la chaussée. La pluie s’abat
en longues rafales. Nous regardons.

Mes yeux s’égarent sur le menu du room service, et je m’en empare.

– Tu veux déjeuner comme les américains ?

– Ils déjeunent comment, les américains ?

– Plein de drôles de trucs ! Des oeufs sur le plat avec du lard, du jus
d’orange, des céréales…

– Moi je bois seulement une tasse de café…

Je saisis le téléphone, et commande un petit déjeuner « americain », répondant
avec assurance a des questions auxquelles je ne comprends goutte. Pudeur
oblige, les essuies éponges réintègrent la salle de bain, et nous enfilons
nos pyjamas. On frappe à la porte, et un garçon en uniforme blanc pousse
dans la chambre une table roulante. Je signe la note, et lui file un petit
pourboire. Renée se met à picorer un peu de tout. Je ramasse quelques
prospectus qui traînent. Je n’ai jamais pu m’empêcher de lire en mangeant !
Il y a de tout, là-dedans. Publicité, bien sûr, mais intéressant, je ne vous
dis que ça! Peu a peu, un plan s’organise dans ma tête. Vingt minutes plus
tard, les oeufs, le lard, les saucisses, et les toasts ont disparu. La
cafetière est vide. Nous abandonnons le lait et les céréales aux vrais
américains. Renée rafle les mini pots de confiture et de miel, et les
enfouit dans son sac, où ils rejoignent les petits savons qu’elle a piqué
hier dans la salle de bain.

– J’ai fait un plan pour la journée !

– On va sur la plage ?

– Tu es folle ? Non ! Mais je ne te dis pas, c’est une surprise !! Mais
d’abord, est ce que tu sais danser ? – Danser ? Non…

– Alors, je vais t’apprendre !

Je déniche un slow sur la radio, et je commence mon cours. Elle comprend
très vite, il ne lui faut que quelques minutes. Les slows se suivent, sur
cette station. Inévitablement… Sa tête est posée sur mon épaule. Elle
baise mon cou, lève les yeux vers mon visage, je m’empare de ses lèvres, et
nos langues se rencontrent. Nos mains s’égarent dans des activités qui n’ont
plus rien de chorégraphique. Jouir debout, serrées l’une contre l’autre,
quel délice! Nos jambes tremblent, nos bouches gémissent l’une dans l’autre.

La suite fut plus compliquée. Mais une heure plus tard, deux gamines en
pyjamas aux entrejambes trempées dansaient un rock endiablé. Renée est une
naturelle. Et à ma grande stupéfaction, j’apprends qu’elle est tout comme
moi une fan des Rolling Stones. Après avoir pris une douche rapide, et nous
être habillées chaudement, nous nous retrouvons dehors, où la pluie tombe
toujours drue. Je m’apprêtais à me diriger vers le garage, quand je vis ce
taxi arrêté devant l’hôtel. Après tout, nous avons beaucoup d’endroits à
visiter, et je ne sais pas où ils se trouvent. Je tire Renée, et nous nous
engouffrons dans le taxi. Le chauffeur un peu surpris était en train de
manger une tartine, et une tasse de café fumante orne la console.

– Finissez de manger, Monsieur, on n’est pas pressées !

Un homme dans la cinquantaine, avec une grosse moustache poivre et sel. Il
bougonne un merci, mais il se hâte quand même. Son français est assez
approximatif, et il ne semble concevoir que le tutoiement. Je fouille dans
mes prospectus, puis une idée me vient:

– Ca coûterait combien, pour louer votre taxi pour toute la journée ?

Il se retourne étonné:

– Toute la journée ? Et tu veux aller loin comme ça dis Juffrouw ?

– Non, juste ici à Blankenberghe. Peut être à Ostende le soir. Mais il
faudra nous attendre dans toutes sortes d’endroits. Et ce soir, nous allons
danser ! Ca pourrait finir tard !

Il prend un air dubitatif, puis me sort un prix qui n’est pas piqué des
vers. Mais je m’en fiche, je suis riche ! Mon père éternellement absent a
récompensé ma réussite de l’an dernier d’une façon royale. Je n’en avais
jamais rien dépensé, et j’ai tout pris avec moi hier soir. Je sors une
liasse de la poche de ma veste, et aligne les billets dans la main de
l’homme, sous les yeux effarés de Renée. Le chauffeur est tout aussi
surpris:

– Alleie, tu discutes même pas, dis, Juffrouw ? Ah non ! Malhonnête, ça je
suis pas !

Et il me rend illico la moitié de l’argent. Un peu honteuse de ma connerie,
je lui donne le premier prospectus. Quelques minutes plus tard, nous nous
arrêtons devant une enseigne qui proclame: « Amanda – Confection et
Prêt-à-Porter. Retouches gratuites. » J’explique à la dame ce que nous
voulons. Deux robes identiques. Quelque chose de sobre, mais joli et
confortable. Et nous les mettrons pour aller danser. Elle nous examine
longuement de la tête aux pieds.

– Mademoiselle, ici (elle désigne Renée), c’est facile. Elle a la taille
mannequin. Pour vous, ça sera moins aisé… Et deux tenues identiques…
Voyons…

Ses yeux parcourent les allées, puis elle se dirige sans hésiter vers l’une
d’entre elles, et revient avec une robe noire comme la nuit.

– Un fourreau de velours noir. Cela devrait vous aller à ravir ! Passons à
l’essayage.

Elle nous conduit à une cabine, mais loin de fermer le rideau, elle garde la
robe a la main, et déclare:

– Mettez-vous en petite culotte. Enlevez aussi votre soutien gorge. Ce
fourreau est doté de bonnets et d’une armature.

Renée s’exécute, le visage rouge brique.

– Cela s’enfile par le bas. Tirette dans le dos. Essayons cela. Bon, laissez
moi positionner vos seins. Oui ! Parfait ! Absolument parfait ! Mais je dois
vous montrer quelque chose: Enlevez le dessus, laissez glisser… bon,
remettez la maintenant. Et voilà ! Je m’y attendais ! Vos seins sont mal
placés! Cela nuit à votre silhouette, et ça deviendra vite inconfortable !
Il faut garder vos seins le plus haut possible, les laisser glisser
lentement dans les bonnets, et les maintenir pendant que la tirette se
ferme. Essayez… Parfait !

Elle fait tourner Renée devant le miroir, la fait marcher…

– Le seul problème, c’est la danse… Je vous propose une fente du côté
droit, remontant jusqu’a la hanche…

Renée ne dit mot, et j’acquiesce.

– Mais ce n’est pas tout! Avec cette fente, la culotte jaune de mademoiselle
aurait un effet désastreux ! Il nous faut une culotte de dentelle noire. A
des femmes plus âgées, j’aurais recommandé bas et porte jarretelles mais
pour des demoiselles de votre âge, des collants sombres feront l’affaire !

Alors que Renée s’est rhabillée et erre dans un petit rayon bijouterie, la
dame s’occupe de moi. Mon cas est nettement plus épineux. Mes nichons
n’arrivent pas à entrer dans la première robe. Ils se nichent parfaitement
dans la deuxième, mais la taille est trop large. La dame déclare
catégoriquement qu’une petite retouche arrangera les choses. Elle passe
derrière moi, défait la tirette, fait glisser le devant, et prend mes seins
à pleines mains. Puis ses doigts pincent mes tétons. Cela a été si vite que
je n’ai pas eu le temps de réagir. Les sensations se répandent dans mon
corps, et la robe glisse jusqu’au sol alors qu’une main s’empare de ma
chatte. Affolée, ma tête se tourne vers Renée qui ne soupçonne rien. La dame
me souffle à l’oreille:

– C’est ton amour ?

– Oui…

Brusquement, elle me lâche.

– Pardonne-moi, je n’ai pas pu résister… Elle a besoin d’un sérieux coup
de peigne, ta copine !

– Oui, c’est prévu…

Nous marchons vers la caisse et elle sort d’un tiroir une carte de visite.

– Tiens, la carte de Christian, le meilleur coiffeur de la ville. Il est
cher à crever, mais il fait des miracles. T’en fais pas, je lui passe un
coup de fil. Plus homo que lui, tu meurs. Entre anormaux, on s’entraide !

Nous avons rejoint Renée, toujours absorbée dans la bijouterie.

– Donnez-moi un peu de temps pour les retouches, Mesdemoiselles, ça sera
prêt dans moins de deux heures.

Arrêt suivant, un magasin de chaussures. Une paire de souliers noirs pour
chacune, et deux minuscules sacs noirs en bandoulière, identiques. Nous
réintégrons le taxi, et je donne au chauffeur la carte du coiffeur. A la
gauche du volant, j’observe une petite plaque qui dit: « Albert Vergauwen –
226934 ».

– Vous vous appelez Albert ? Nous c’est Renée et Jeanette !

Le coiffeur. La dame avait raison, plus homo que lui, tu trépasses. Et il ne
s’en cache nullement. Il minaude comme une grande folle, et nous appelle
« ses petites colombes ». Il me met entre les mains d’une auxiliaire féminine,
et se concentre sur Renée, qu’il examine avec grande attention, lui faisant
tourner la tête dans tous les sens en changeant les éclairages. Emportée
dans les shampoos, puis la tête sous le casque, j’entends vaguement Renée
suggérer de « couper seulement quelques centimètres » et le coiffeur lui
répondre de « laisser faire Christian ». Ma coiffure est finalement terminée,
et je suis enchantée des résultats. L’emplacement de travail de Christian
est entouré de rideaux, et ils sont fermés. Mais il en émerge, me prend par
les épaules, et me dit:

– Et maintenant, tu fermes les yeux, tu te concentres, et tu penses au
visage de Renée !

J’obéis. Je le connais si bien, ce petit visage un peu trop allongé et qui a
toujours l’air de craindre. Ces longs cheveux roux filasses sévèrement tirés
vers l’arrière, séparés en deux sur le sommet du crâne. Ces petites oreilles
un peu trop décollées… Christian me lâche, un bruit de rideaux qui
s’ouvrent, et j’ouvre les yeux. Devant moi… une femme quasi inconnue qui
affiche un merveilleux sourire. Des boucles rousses comme un feu ardent
cascadent sur ses épaules et entourent son visage. Un miracle !

Christian nous escorte jusqu’au taxi, armé d’un énorme parapluie. Renée
entre la première, et je réalise soudain que nous n’avons rien payé, mais il
étouffe mes protestations.

– T’occupe ! Je suis tout sauf con ! J’ai pris des photos avant et après, et
elles valent cent mille fois le prix d’une permanente. Et puis, mon vrai
payement, il est là, dans la voiture !

J’entre à mon tour. Albert replie son journal, se retourne, et manque en
avaler le mégot qui lui pend au coin des lèvres.

Retour au magasin de confection. La dame nous attend, tout est prêt. Deux
grands sacs. Les fourreaux, les culottes, les collants. Elle a épinglé sur
chaque fourreau une broche barrette constellée de petites pierres
brillantes, et rajoute deux paires de boucles d’oreilles assorties. Je règle
la note pendant que Renée emporte les sacs dans le taxi.

– Tu payes les fourreaux. Le reste, c’est pour la maison. Te frappe pas, les
bijoux, c’est du toc.

Elle me raccompagne à la porte, et sa main s’égare sur mes fesses.

– Qu’est ce que je t’avais dit ? Un véritable artiste, Christian ! Je vous
souhaite tout le bonheur du monde !

– Merci pour tout, Amanda.

Elle sourit tristement.

– Hélas ! Je m’appelle Joséphine…

Je fouille dans mes prospectus, et tend à Albert celui d’un restaurant. Il
le regarde avec mépris.

– Tu veux payer très cher pour un petit bout de viande et des légumes crus,
tu vas là !

– Quoi, ce n’est pas bon ? Donne-nous une meilleure adresse, alors !

– Hebt u graag mosselen ? (3)

– Bien sûr, qu’on aime les moules !

Dix minutes plus tard, Albert arrête le taxi devant une simple friterie.

– Là ! Tu commandes une casserole.

– Pas de ça ! Tu viens avec nous ! Et si c’est pas bon, c’est toi qui payes
!

Il le savait, Albert, qu’il ne courrait aucun risque. Sauf celui de souper à
l’œil, ce qu’il a fait. Délicieuses, ces moules. Croustillantes, ces frites.
Mousseuse, cette Stella. Nous rentrons à l’hôtel pour nous habiller, et je
montre à Renée le dernier prospectus: « Une ambiance raffinée. Une
sonorisation ultra moderne, et des éclairages surprenants. Le rendez-vous
des couples sophistiqués, avertis et sans complexes ».

Nous redescendons. La pluie a cessé. Albert nous ouvre la porte du taxi, et
siffle d’admiration, à la grande indignation du portier de l’hôtel. Je lui
tends le prospectus. Il l’étudie un long moment, puis déclare froidement:

– Non, là je te conduis pas !

– Quoi ? M’enfin, pourquoi ?

– Là je te conduis PAS ! C’est une boite a partouzes. Tu sais ce que c’est
une partouze ?

– Albert ! J’ai dix huit ans !

– Ben justement ! Attend d’en avoir cinquante ! A ce moment là, t’en auras
besoin ! Et puis si tu penses qu’ils jouent les Brittels, dans ce truc…

Renée intervient d’une façon véhémente:

– On s’en fout, des Beatles ! Nous, on veut les Stones ! Les Rolling Stones
!

Un peu désorienté, Albert roule un moment, puis s’arrête devant un grand
hôtel où quatre ou cinq autres taxis attendent en file. Grande palabre avec
les collègues. Il reprend sa place au volant, et bougonne:

– Je vas t’en donner, moi, des Zdaunes !

Il prend la route principale parallèle a la digue, la vitesse augmente, et
au bout de 10 minutes nous sommes dans le patelin de Middelkerke. Nous
tournons un moment dans de petites rues, et il se gare dans le parking de ce
qui semble être un dancing: « The pink poodle », proclame le néon. Toujours
vexé, Albert allume sa petite lampe et déplie son journal, sans un mot. Nous
sortons.

– Si ça ne nous plait pas, on rentre à l’hôtel et je prends la voiture !

Mais à peine ouvrons nous la porte que le son des tambours nous frappe en
pleine poitrine: « Not Fade away » !! Les yeux de Renée brillent. En un clin
d’œil, nous sommes sur la piste, et je la fais virevolter. Nous sommes comme
en transes, la clarinette s’égosille, des éclairs de lumière violents et
désordonnés nous frappent au visage, les tambours reviennent nous secouer la
carcasse, et nous tournons, nous tournons, emportées dans cet autre monde.
Mais progressivement, les lumières se font moins violentes, se changeant en
une demi-obscurité, et le morceau se termine.

Notre entrée en fanfare n’est pas passée inaperçu. La piste occupe le
centre, et un long bar l’entoure, occupant trois murs sur quatre. Il y a une
trentaine de couples, plus quelques esseulés faisant tapisserie. Nous
commandons des cocas, et nous installons le plus près possible de
l’orchestre, qui entame la longue plainte de « Love In Vain ». Ce morceau m’a
toujours donné des frissons dans le dos, il porte en lui une tristesse
infinie. Nous passons des slows tendres aux rocks endiablés. L’orchestre,
lui, n’en a cure. De toute évidence, ils jouent pour eux-mêmes. Presque tout
leur répertoire est des Rolling Stones, y compris des morceaux obscurs et
peu connus. Le chanteur fait même tout son possible pour ressembler à Mike
Jagger, mais c’est raté, il est trop grand et pas assez laid.

Les « tapisseurs » ont vite compris que nous n’acceptons aucune invitation, et
que nous ne dansons qu’ensemble, et si l’on excepte notre frénésie, nous
nous sommes conduites jusqu’à présent comme deux petites filles très sages.
Mais tout a une fin. L’orchestre entame « Cry to me »…
When your baby leaves you all alone (4)
And nobody calls you on the phone
Don’t you feel like crying?
Don’t you feel like crying like crying like crying?
C’mon baby, cry to me!
Emportée dans un monde parallèle, je serre Renée plus fort, son visage se
lève vers moi, ma bouche s’écrase sur la sienne, et nos langues se
mélangent. Oublieuses du reste du monde, dédaigneuses de l’humanité,
enfermées dans notre univers personnel.
Nothing could be sadder than a glass of wine alone (5)
Loneliness, loneliness, is just a waste of your time!
But you won’t ever have to walk alone,
You see, so c’mon take my hand,
C’mon walk with me!
No! We won’t ever have to walk alone, anymore! (6) Je l’embrasse avec
passion et désespoir. Nos bouches toujours soudées, nous suivons le morceau
d’une façon plus appuyée, plus enlevée. La fin nous laisse épuisées, comme
vidées de notre substance, et nous retournons nous asseoir. Notre petite
fantaisie n’est pas passée inaperçu. Il y a quelques regards
désapprobateurs, mais aussi quelques sourires sympas, ahurissant, à
l’époque.

Maintenant que le lapin est sorti du chapeau, nous ne nous gênons plus pour
nous embrasser pendant les slows. De toutes façons, l’assistance commence à
s’éclaircir, il ne reste plus que quatre ou cinq couples, et ils ne dansent
que les slows, nous laissant la piste toute entière pour le reste. Et
soudain, le chanteur annonce qu’ils vont prendre un break avant les deux
derniers morceaux. Il a un court conciliabule avec les autres musiciens, et
se dirige vers nous.

– Ladies, the two last songs are your choice. (7)

– Why us? (8)

– Why you? Because you seem to live the Stones, to breathe the Stones, to
sweat the Stones. And kissing like you did, it’s like yelling « Fuck you! » to
the world, and we love it! (9)

– Well, can we get « Not Fade away » ? Make it hard and lound! (10)

Je lui chuchote le choix de la dernière chanson a l’oreille, pour ne pas que
Renée l’entende. Etonné, il acquiesce.

La piste s’éclaire de violente lumières rouges et bleues. La sono a été
montée d’un cran, et soudain, les tambours nous ébranlent, nous secouent
jusqu’a l’os. Je lance Renée sur la piste comme une petite toupie. La voix
du chanteur s’élève, brutale :
I’m gonna tell you how it’s gonna be (11)
You’re gonna give your love to me
I’m gonna love you night and day
Love love won’t fade away
La clarinette s’égosille, et je manie Renée comme un petit jouet, toujours
en perte d’équilibre, toujours rattrapée au dernier moment. Mais sa
confiance est totale. Une exhibition dure et violente, digne de « Dirty
Dancing ». Le morceau s’arrête brusquement, ponctué par les tambours, alors
que Renée est dans mes bras, inerte, le haut du corps penché en arrière.

La lumière se fait plus douce, le rouge disparaît, tout est bleu. Et
soudain…
Oh, yes, I’m the great pretender (12)
Pretending that I’m doing well ;
My need is such, I pretend so much,
I’m lonely but no one can tell.
La douceur remplace la violence. Les quelques couples restants nous
rejoignent sur la piste. Nous bougeons à peine et nos lèvres se touchent
légèrement. Jamais, jamais, je n’oublierai ce slow.

C’est la fermeture. Nous nous dirigeons vers la sortie. Mais le chanteur
nous arrête. Il crie au barman:

– Tequila Sunrise, double !

L’orchestre fait cercle autour de nous. Le chanteur nous plante un verre
dans la main, lève le sien, et porte un toast:

– FUCK THE WORLD!!! (13)

Et tout le monde de faire cul blanc.

Imperturbable, Albert lit toujours son journal. Nous nous écroulons sur le
siège arrière. Il éteint sa petite lampe, et plie soigneusement sa gazette.

– Alors, c’était les Zdaunes ?

D’un geste concerté, nous nous levons, et il reçoit un gros bisou sur chaque
joue.

– Non, c’était mieux !

Albert nous dépose devant l’hôtel, et reçoit une nouvelle ration de bisous.
Nous regardons le taxi s’éloigner. L’ascenseur s’arrête à notre étage.
Epuisées, assommées par les Tequila Sunrise, nous dispersons nos vêtements
sur la carpette, et sombrons dans un sommeil sans rêves.

Je m’éveille dans la grisaille. Hier soir, nous n’avions pas fermé les
rideaux. Renée a repoussé les couvertures. Elle est couchée sur le dos, les
jambes légèrement écartées. Sa coiffure l’a changée en quelqu’un d’autre qui
m’intimide un peu. Elle dort la bouche ouverte. Sa vue génère chez moi des
sentiments complexes. Une excitation toute physique, mêlée d’un élan, d’une
envie de me fondre en elle. Je voudrais voir son visage se tordre et se
déformer sous l’emprise d’une jouissance trop forte. Je voudrais la voir
sourire, apaisée. Craintive, triste, en pleurs, gamine, exubérante, trop
sérieuse… Tous ces visages de Renée sont enfouis dans ma mémoire comme
dans un merveilleux album secret qui n’appartient qu’a moi.

Alors que mes pensées se déroulent, ma main s’est égarée sur sa chatte et
bouge légèrement. Je ne veux pas la réveiller, je veux profiter plus
longtemps de ce moment magique. Soudain, je me rends compte que je suis en
train de prendre avantage d’un corps inconscient, et que je n’en éprouve
aucune honte. Ce corps est le mien. Il n’y a plus de frontières. Mes doigts
sont humides. La mouille a remonté dans sa petite fente. Le souvenir d’hier
me revient, lorsque sa langue léchait mon sexe. Oserais-je lui rendre cette
délicieuse caresse qui m’avait tant choquée ? Quelques gouttes de sueur
perlent sur son ventre. Mon visage descend sur son buisson. Jamais je ne
l’ai vu d’aussi près. Maintenant, je sens cette odeur différente de la
mienne, plus forte, plus acide, plus poivrée. Très lentement, j’écarte ses
jambes, et ses lèvres s’ouvrent légèrement, dévoilant un univers de chairs
vermeilles. Ma langue s’introduit, et je goûte son jus. Une saveur sauvage,
piquante. Je remonte dans la fente, trouve le tout petit bouton. Je tourne
autour, puis commence ce jeu du pousse-pousse qu’elle m’a appris. Ses
hanches commencent à remuer un peu, et ma caresse se fait plus forte. Deux
mains saisissent ma tête et m’enfoncent en elle. Son bassin monte et
descend, et je la lape de plus en plus fort. Elle s’arque. Elle crie. Et son
cri me remplit d’un bonheur indicible.

Le petit animal qui vit entre mes jambes pulse, comme pris d’une vie
indépendante. Un rien suffirait à lui faire perdre toute retenue, mais cela
doit venir d’elle, d’ELLE ! A genoux, frénétique, je le colle sur son
visage, et soudain, sa langue m’explose.

Nous sommes serrées l’une contre l’autre. Je ne sais pas d’où ça est sorti.
Inconscient, pas calculé, pas réfléchi:

– Je t’aime, Renée. Oh, je t’aime !

Aujourd’hui, nous avons laisse leur petit déjeuner aux américains. Nous nous
sommes régalées de deux énormes gaufres de Bruxelles débordantes de crème
fraîche, arrosées d’un café bien fort. Je suis repartie dans mes prospectus,
et constate que l’hôtel a une petite piscine intérieure. Je l’ai à peine
mentionné que Renée veut s’y rendre.

– Allons, tu vas gâcher ta coiffure !

– Je l’aurais fait de toutes façons. Cela me gène de voir cette fille dans
la glace. Et puis, à la maison, les réactions, je ne te dis pas…

Nous avons nagé quelques longueurs côte a côte, visité le sauna, et décidé
d’un commun accord que ça n’était pas notre truc.

Nous sommes
remontées dans la chambre. Débarrassée de son maillot, Renée déambule.

– Tu sais quoi, Renée ? Eh bien, tu as la fesse triste !

Elle me regarde d’un air ahuri, et rétorque un peu piquée:

– Et quoi ? Tu penses qu’elles rigolent, tes fesses à toi ?

– Mais bien sûr ! Il est souriant, mon cul !

Et joignant le geste a la parole, je me retourne, me plie en deux, et lui
montre mon cul souriant, qui ramasse immédiatement une claque sonore. Nous
commençons à nous poursuivre en nous claquant les fesses. Finalement,
abusant honteusement de mon poids, je suis arrivée à la plaquer à plat
ventre sur le lit, et j’y vais de quelques claques supplémentaires. Tout
d’un coup, elle cesse de se débattre, sa tête se tourne vers moi, ses yeux
sont vagues, elle balbutie:

– Oh, n’arrêtes pas, encore, plus fort, plus fort !

Je la lâche immédiatement.

– Ca ne va pas, la tête ? Tu es folle, ou quoi ?

Elle se retourne sur le dos, et je vois que sa chatte est trempée. Ses yeux
fuient les miens, elle s’assied en tailleur, la tête baissée.

– Je pense que j’avais sept ans. Ma mère possédait un grand vase chinois qui
lui venait de sa famille. Enorme, plus d’un mètre de haut, magnifique. Elle
y tenait comme a la prunelle de ses yeux. Elle ne manquait jamais de le
faire admirer à tous les visiteurs. Elle le fit même expertiser, et il
valait très cher. Un jour que ma sœur et moi étions seules a la maison,
j’entendis un grand fracas. Le vase était sur le sol, brisé en mille
morceaux. Guillaine s’était enfermée dans sa chambre, et ne me répondait
pas. Dès que mes parents rentrèrent, je l’entendis crier: « Maman, Maman,
Renée a cassé le vase ! » A la vue du désastre, ma mère s’est mise à pleurer,
puis elle fut prise d’une rage démente. Elle me poursuivit dans toute la
maison. Tout en m’enfuyant, je protestais de mon innocence, mais elle
ignorait mes paroles. Elle finit par m’acculer dans un coin, et me saisit
par les cheveux. Elle était comme folle. Elle m’arracha ma culotte, et se
mit à me fesser. Je me débattais de toutes mes forces. Tu comprends, ce
n’était pas juste, ce n’était pas moi ! J’essayai même de la mordre. Dans la
bagarre, je me retrouvai la tête en bas, sa cuisse entre mes jambes, et
cette main qui s’abattait encore et encore. Ma chatte frottait, cognait sur
sa cuisse, et soudain cette sensation a commencé entre mes jambes, et s’est
répandue dans mon ventre. Une sensation d’une violence incroyable, mêlée à
la douleur qui me déchirait les fesses. Je crois que ce sont mes soubresauts
et mes cris qui n’avaient plus rien d’humain qui l’ont arrêtée, alors que
j’avais envie que cela ne cesse jamais!

Je l’écoutais, fascinée…

– Apres cet épisode, j’ai passé trois jours au lit. Le même soir, ma main
s’est égarée sur cette fente qui n’avait jamais été pour moi qu’une chose
qui sert à faire pipi. Je l’ai frottée, massée, même frappée, et les
sensations sont revenues, alors que je frottais sans pitié mes fesses
blessées sur le drap. J’écrasais l’oreiller sur mon visage, pour étouffer
mes beuglements. Pendant deux jours j’ai recommencé, encore et encore,
chaque fois que j’étais sûre d’être seule. Mais finalement, mes fesses ont
guéri. J’ai appris à me donner des sensations délicieuses, qui me font
trembler de plaisir. Mais ce paroxysme, cette explosion, cette démence,
jamais je n’ai pu les retrouver. Jusqu’au jour ou ton genou a cogné ma
moule, dans cette camionnette, et que tu as continue à me pilonner
brutalement. Et ta main aussi, parfois elle y arrive. La mienne, jamais !

Nos corps ont bougé, nous sommes couchées côte a côte, sa tête sur mon sein.

– Oh tu sais, je m’en suis posée, des questions. Pour moi, c’était anormal,
déroutant, dégoûtant. Au fur et a mesure que je vieillissais, je
m’interrogeais de plus en plus. Un moment, j’ai même pensé que j’étais une
sorte de monstre. A 14 ans, j’ai passé des journées entières à la
bibliothèque des Chiroux, un livre ostensiblement en face de moi, alors que
j’en lisais un autre, caché sous la table, sur mes genoux. J’ai découvert
que je n’étais pas seule dans mon genre…

Renée poursuit, me raconte ses découvertes livresques, me fait entrer dans
cet univers inconnu des perversions sexuelles et des associations
psychologiques. Je découvre une autre personne, tellement éloignée de la
gamine que je connais. Une Renée didactique qui approfondit les choses avec
une intelligence aiguë. Elle parla plus d’une heure, pendant que je la
serrais contre moi.

– Nos esprits et nos corps sont relies ensemble par mille petites ficelles
sur lesquelles nous avons bien peu de contrôle. Un jour, des scientifiques
prirent un oeuf de pingouin. Lorsque l’oiseau sortit de l’œuf, il vit en
face de lui un gros ballon rouge. Cet animal ne partagea jamais la vie des
autres. Pour lui, sa maman, son espèce, c’était ce ballon rouge. Il ETAIT un
ballon rouge.

Et je la serre et je la berce, et je caresse ses cheveux.

– Alors, Jeanette, si tu m’aimes, fesse-moi. Frappe-moi de toutes tes
forces. Fais moi exploser dans un feu d’artifice. Juste une fois. Rien
qu’une fois. Je ne te le demanderai jamais plus, je te le jure !

Je la retourne sur le ventre, et ma main s’abat sur ses petites fesses. Je
frappe, je frappe, aussi fort que je puis. Elle tressaute. Elle gémit, elle
remue, je frappe, je frappe ! Ses mouvements se font plus convulsifs. Son
petit derrière est rouge brique, mais je FRAPPE ! J’introduis mon genou
entre ses cuisses, et je la pilonne. Tout son corps remue, et elle hurle
dans l’oreiller. La mouille me dégouline entre les cuisses. Rien n’apaisera
le monstre que je suis devenue. Mes mains s’introduisent sous son corps,
trouvent ses tétons, et les pincent cruellement, alors qu’elle convulse sous
moi. Je m’écroule sur elle. Nous restons ainsi un long moment. Elle a fini
par se retourner et par mettre ma tête sur sa petite poitrine. Les rôles
sont renversés. Soudain, j’éclate en longs sanglots. Sa main me caresse le
visage, elle me baise le front.

– C’est dur, hein, de découvrir. Tu m’en veux ? Je te dégoûte ?

Je hoquète:

– NON !! Non !!!! Tu es mon petit pingouin, et je suis ton gros ballon rouge
!!

Elle me serre contre elle. Nous avons fini par nous lever. Nous prîmes une
douche brûlante. Nous nous sommes habillées chaudement, avons traversé la
digue, et nous marchons sur la plage déserte. La pluie tombe toujours en
longues rafales sauvages. Nous marchons, trempées comme des soupes, les
cheveux dégoulinants, regardant les petits crabes qui courent de côté et
écoutant le cri des mouettes. A un moment, elle me prit par la main, et
marcha vers les vagues. Nos pieds clapotent, l’eau s’introduit dans nos
baskets. Parfois une vague plus forte nous monte jusqu’aux cuisses. Si elle
avait continué, je l’aurais suivie jusqu’au fond du néant. Mais elle s’est
arrêtée. Elle a mis ses mains sur mes épaules, et elle m’a longuement
regardée dans les yeux. Ce qui s’est passé entre nous à ce moment là, je ne
puis le décrire. Nous avons fini par retraverser la digue et rentrer à
l’hôtel. Nous changer, faire nos valises, et prendre la route. Plus je
m’approche de Liège, moins vite je roule. Arrivées presque devant chez elle,
je tourne brutalement dans la petite rue sombre. Nos bouches s’unissent, nos
langues s’échangent. Elle sort, marche sans se retourner.

Ainsi s’acheva le week-end le plus heureux et le plus malheureux de ma vie.

Lundi, l’entraînement du soir. La première chose que je remarque, c’est la
présence de la mère de Renée, assise à la buvette. Ca ne me plait pas du
tout, mais alors là, pas du tout! Se pourrait-il que ??

Mais non. Simplement, Guillaine a repris l’entraînement, et comme madame
mère n’a nulle envie de se taper une autre grossesse… Mais tous nos plans
sont à l’eau. Terminés, les retours la main dans la main. Je rentre seule
avec cette envie qui me taraude le ventre.

Mardi. Jouissances furtives dans les toilettes dames.

Mercredi. Les toilettes sont occupées. Eh merde ! Je me rhabille et passe à
la buvette. Madame mère m’apostrophe:

– Bonsoir, ma petite Jeanette ! Je suis tellement heureuse de vous voir ! Je
voulais vous demander de remercier vos grands-parents pour ce merveilleux
week-end offert a Renée ! C’est tellement gentil de leur part…

– Bonsoir, Madame D. Je leur transmettrai.

– Et vous aussi, je vous remercie ! Un bel exemple de charité chrétienne !
Oh, je me rends bien compte de l’effort que cela doit être pour une jeune
fille telle que vous de consacrer votre temps a une gamine un peu simple.

Je balbutie quelque chose, effarée par la stupidité de cette conasse. Un peu
simple !

Je m’assieds à l’écart, pendant que Madame D. poursuit sa conversation avec
une autre idiote de son acabit.

– Eh oui. Ces deux gamines sont tellement différentes. Une tête, que notre
Guillaine, nous en attendons beaucoup. Elle fera sa médecine. Renée, hélas,
ce n’est pas le cas. Mais qu’importe ! Il y a encore dans notre société de
la place pour d’honnêtes épouses et mères de famille. Avec un peu de chance,
notre Renée rencontrera un brave garçon qui la prendra en charge. Nous
l’avons inscrite à l’école de cuisine, car on retient les hommes par le
ventre, c’est bien connu !

Je rentre à la maison, stupéfiée par cette connerie abyssale.

Au moins, il nous reste le Samedi. Mais que faire ? Après la débauche de
liberté du dernier week-end, les promenades, les parcs, et les cinémas nous
semblent bien fades. Plus j’y pense, plus je réalise que la seule solution
est un hôtel de passe. Après tout, nous sommes majeures ! Mais le danger me
fait frémir. Imaginez, si une bonne âme dévoilait a Madame mère que sa
petite gamine un peu simple fréquente ces lieux de débauche… Pour sûr,
elle en avalerait son crucifix ! Non, il nous faut quitter la ville. Des
11h, nous prenons la route. Nous nous arrêtons à Huy, espérant que les 25 km
de distance préserveront notre anonymat. J’ai potassé les pages d’or, et je
pense avoir une adresse. L’hôtel en question est situé dans une petite rue
en pente. De toute évidence, une maison de maître qui a été adaptée à sa
nouvelle destination. Un couple y entre juste avant nous, et la façon dont
la tenancière les accueille ne nous laisse aucun doute. Nous sommes au bon
endroit.

– Et que puis-je pour vous, Mesdemoiselles ?

– Nous voudrions une chambre…

– Vous devez faire erreur, Mesdemoiselles. Nous sommes… un hôtel de
rencontre… comment vous expliquer, nous louons des chambres pour quelques
heures.

– C’est exactement ce que nous cherchons, Madame. Cela nous convient
parfaitement.

Le mépris et le dégoût se lisent sur son visage. C’est tout juste si elle ne
nous crache pas dessus.

– Vous avez des papiers ?

Apres avoir disséqué nos cartes d’identité, et m’avoir fait payer le double
de ce qu’elle avait demandé au couple qui nous précédait, elle me jette une
clef.

– Chambre 27, premier étage. Deux heures, pas une minute de plus !

Lourdes tentures, couvre lit de satin bordeaux, minuscules lampes simulant
des bougies, cette chambre ressemble a un bordel oriental, ou du moins à ce
que je pense qu’un bordel oriental doit ressembler. Je sens que Renée est au
bord des larmes. Sans nous déshabiller, nous nous couchons sur le lit.
L’envie de quoi que ce soit de sexuel nous est complètement passé. Nous
restons deux heures dans les bras l’une de l’autre, serrées, nous contentant
de nous picorer les lèvres et de nous caresser le visage. Nous quittons
cette chambre avec une espèce de soulagement.

Je rends sa clef a la tenancière. Elle siffle:

– Petites salopes !

J’en bout d’indignation. Comment cette femme, qui a pris notre argent
ose-t-elle nous juger ! J’ai envie de lui péter la gueule, mais je me
contente de lui lancer un robuste bras d’honneur. Nous sortons, mais cette
furie nous poursuit dans la rue. Elle hurle:

– Sales petites poufiasses !

Renée se met à courir. Je la rattrape, la prend par le bras, et nous
tournons le premier coin de rue, alors que les invectives continuent à
pleuvoir.

Mardi soir. Les toilettes étaient libres. Renée et moi émergeons ensemble
des vestiaires. Madame mère m’accroche:

– Ma petite Jeanette, cela nous ferait tellement plaisir si vous pouviez
nous accompagner à la messe de minuit…

L’invitation me prend par surprise. Je pense un moment à prétexter une
obligation quelconque, mais finalement, j’accepte. Je passerai la nuit de
Noël avec Renée. Mais pas rien qu’avec elle, hélas !

J’ai du fouiller ma garde robe pour y trouver quelque chose d’approprié. Il
y a des mois et des mois que je ne porte rien d’autre que des jeans. J’ai
fini par dénicher cet ensemble bleu marine, très « petites filles modèles ».
Mais alors, rien à me mettre sur la tête, et pourtant, c’est indispensable.
Henriette fouillait dans un tas de foulards, lorsque Charles revint
triomphant avec un béret basque parfaitement assorti. Je m’examine dans le
miroir. Totalement conne, mais parfaitement convenable !

Renée m’attend devant les portes de la cathédrale, et me guide à
l’intérieur. Les D. y ont leur banc personnel, orné d’une petite plaque en
cuivre a leur nom. Cela doit leur coûter un os, et ne cadre absolument pas
avec leur pingrerie habituelle, mais que ne ferait on point pour mériter la
salvation !

Je suis à l’extrémité droite du banc. Renée à ma gauche, puis Guillaine,
Monsieur père, et Madame mère. Ils se sont fendus d’une gamine pour garder
le bébé. La cathédrale se remplit lentement. Les toussotements qui se
veulent discrets et les pieds de chaises grinçant sur les dalles résonnent
sous les voûtes. Renée et Guillaine entament une conversation chuchotée,
mais Monsieur père les rappelle à la raison:

– Mesdemoiselles, Dieu vous voit !

Ben voyons !
Bien que mes grands-parents ne soient pas croyants (mais cela je ne
l’ai appris que bien plus tard), j’ai été élevée dans la religion
catholique. Simplement, c’était la coutume. Et puis les écoles catholiques
étaient mieux fréquentées. Depuis toute petite, je disais mes prières, je
connaissais par cœur toutes les réponses aux questions du catéchisme, et à
l’âge de 7 ans, je voulais devenir bonne sœur. Je trouvais ça tellement
injuste qu’une femme ne puisse pas devenir prêtre ! J’étais pleine de
ferveur, je passais des heures en prières à la grande inquiétude de ma
grand-mère, qui se demandait quoi faire. Cela a duré plus de deux ans, ce
doux confort de la prière. Et puis les bonnes sœurs ont tout foutu en l’air
avec leur éducation. L’âge augmentant, on a commencé à nous parler de
pureté, et de ces horribles petites filles qui se souillaient elles-mêmes…
Oh, rien de précis, rien d’explicite, un chef d’œuvre d’insinuation. Et je
me suis aperçue avec horreur que j’étais une de ces petites salopes, et en
état permanent de péché mortel, en plus, parce qu’aller raconter ça à un
prêtre, pas question, j’en serais morte de honte. J’ai passé plusieurs mois
d’un véritable enfer, au fond du désespoir. Priant des heures et des heures
pour que mon âme soit sauvée, puis me branlant comme une folle sachant que
je me damnais à tout jamais. Ce qui ne m’empêchait pas d’y prendre un
plaisir immense. Et puis un jour, vers l’âge de 10 ans, la tension devint
trop forte, et ça a craqué. D’un coup, en une seconde, j’ai totalement cessé
de croire.

Pourtant, je ne suis jamais devenue anticléricale, pas plus que je ne suis
anti horoscopes ou anti soucoupes volantes. Comment être adversaire de ce à
quoi l’on ne croit pas ? Pour moi, maintenant, la religion, c’est le
syndrome du Nounours. Comme la petite fille qui s’éveille dans son lit après
un gros cauchemar. Elle serre gros nounours dans ses bras, de toutes ses
forces. Nounours me protégera ! Tant que Nounours est là, il ne m’arrivera
rien. Tant que je fais tout ce que Nounours me dit de faire, tout ira bien !
Tant que je calque ma vie sur ce qui est écrit dans le grand livre de
Nounours (ou la Bible, la Torah, le Talmud, le livre rouge de Mao), je serai
une des JUSTES.

C’est la voie facile. Pour certaines personnes, c’est la seule. L’autre voie
consiste à réaliser que Nounours n’existe pas, et que peut être (qui sait ?)
sommes nous complètement seuls, si l’on excepte ces millions d’êtres
humains. Et que peut être, il n’y aura jamais de récompense pour les bonnes
actions, ni de punition pour les mauvaises.

Oui, peut être sommes-nous complètement seuls. Seuls à choisir entre le bien
et le mal. C’est bien plus dur. Car dans ce cas, nous ne suivons pas la voie
imposée par Dieu, mais la nôtre. Et nous gardons le souvenir de ces choses
dont nous ne sommes pas tellement fiers, sans pouvoir profiter de cette
merveilleuse gomme à effacer que constitue la confession.

C’est dur, d’être seule. Pas de Dieu. Pas de récompense. Pas de punition.
Pas de pardon. Rien que la connaissance que le bien est le bien et le mal
est le mal. Et que ce choix est le nôtre. C’est dur de vivre avec le
souvenir de ces choses dont nous ne sommes pas bien fiers, sans pouvoir les
confesser, les effacer à tout jamais.

Mais bien sûr, l’être humain a cette faculté ahurissante de se cacher les
choses à lui-même, et d’enterrer dans un puits sans fond les souvenirs
coupables…

Une messe de minuit. Les réflexes ancrés reprennent le dessus. Je me lève et
je m’agenouille avec tout le monde. Je baisse pieusement la tête aux moments
adéquats. La messe se termine, mais personne ne bouge. Venant de derrière
l’autel, un homme et femme, tous deux revêtus d’une longue robe blanche. Ils
se rejoignent, s’agenouillent, puis marchent vers le centre du chœur. Et
soudain, leurs voix s’élèvent… Minuit! Chrétiens! C’est l’heure solennelle
Où l’homme Dieu descendit jusqu’à nous Le contraste entre ces deux voix est
saisissant. Celle de l’homme est grave et profonde. Celle de la femme… est
celle d’un ange. Mais toutes deux sont à la fois respectueuses, douces, et
puissantes. Elles résonnent sous les voûtes centenaires, et le son qui en
résulte est d’une beauté à couper le souffle. Ma gorge se serre. Les mots
n’ont aucune importance. Seule la splendeur subsiste. Peuple à genoux !
Attends ta délivrance: Noël ! Noël ! Voici le Rédempteur: Noël ! Noël !
Voici le Rédempteur !

Les larmes me coulent sur les joues. Longtemps après que les voix se soient
tues, je reste paralysée, immergée dans ce moment de pure beauté.

Mais la vie continue. Janvier passât, nous sommes fin Février. A Bruxelles,
dans l’anonymat de la capitale, nous avons trouvé un hôtel dont le tenancier
n’attache aucune importance à notre âge ni à notre sexe. Nous nous y
retrouvons chaque Samedi, et même parfois le Dimanche. Le reste du temps,
les toilettes, les pissoirs, les parcs, et les cinémas accueillent nos
amours. Trop rarement, hélas, les règles de Guillaine nous débarrassent de
sa présence et de celle de Madame mère. Nous connaissons son cycle menstruel
mieux qu’elle-même, nous comptons les jours à sa place…

Le week-end commençât très mal. Le Samedi, les D. visitaient un oncle a
ménager pour son héritage. Et le Dimanche, ils recevaient des cousins. Pas
question de se pointer à l’hôtel. Renée s’est bien prétendue malade pour
échapper à la corvée, mais ça n’a rien arrangé. Peut être est-elle trop
malade pour visiter Crésus, mais elle pourra garder le bébé, ce qui leur
évitera une dispendieuse baby sitter. Qu’importe, je pourrai passer la
journée avec elle.

J’ai horreur de cette maison, de la façon dont elle est décorée, de l’odeur
qui y règne. Elle me fait penser à un caveau, un mausolée. Ni Renée ni moi
ne sommes bien en forme. Nous passons quelques heures sur le divan à nous
bécoter, à nous tenir la main, et à nous serrer l’une contre l’autre. Et
bien sûr, cela a fini comme cela devait finir. Puis le bébé s’est réveillé.
Il a presque six mois à présent. Il est ravissant, il sourit tout le temps,
et il émet de petits balbutiements délicieux en agitant frénétiquement bras
et jambes. Je lui donne son biberon. Il suce, il suce de toutes ses forces,
avec de petits bruits de gorge. Ses yeux se ferment, la sueur perle sur son
front, et déjà endormi, il suce jusqu’a la dernière goutte. Ca me fait tout
drôle, ce petit corps chaud et humide serré contre mon sein. Il dort, sa
petite bouche en trou de cul de poule légèrement ouverte, le visage sérieux,
absorbé par cette tâche importante. Sa couche est trempée, et une large
auréole orne ma blouse, mais qu’importe, je suis si bien…

Pendant que Renée le change et le couche, je m’éclipse un moment et reviens
avec une dizaine de boulets et un énorme plat de frites arrosées de sauce
lapin (les Liégeois comprendront). Nous nous en foutons plein la gueule.
Nous passons l’après midi a demi assoupies devant la TV.

Seize heures, l’heure du bain du petit. Une fois encore, je suis charmée. Il
adore ça! Il est couché dans sa petite baignoire, je déniche une tasse, et
lui vide de l’eau chaude sur le ventre. Il hurle de bonheur. Je suis si
emportée par mon plaisir que je me mets moi-même à bêtifier avec lui,
comportement que j’ai toujours trouve absolument débile quand je l’observais
chez les autres. Renée me regarde:

– T’excites pas, Jeanette, je ne pense pas que ce soit écrit dans notre
avenir…

Moins d’une heure plus tard, le reste de la famille fait une entrée
bruyante. Ils se proclament tous absolument crevés, Madame mère concocte une
liste sans fin des trucs nécessaires pour les agapes du lendemain, et Renée
est de corvée. Mais comme on le fait discrètement remarquer, Jeanette qui
est si gentille est là avec sa voiture…

Nous poussons notre charrette dans les allées du Carrefour. Je déteste le
Carrefour, ne me demandez pas pourquoi. Je trouve que tous les clients y ont
une sale gueule, un visage ingrat, une attitude bornée. Vu l’ampleur de la
liste, et sa diversité, nous faisons toutes les allées. La charrette se
remplit lentement. Renée me sort:

– J’ai une impression irréelle: Nous faisons nos petites courses ensemble,
avant de rentrer chez nous.

Nous passons devant une série de modèles de cuisines équipées, et elle
s’arrête devant l’une d’entre elles:

– Magnifique ! Tout électrique ! Exactement ce qu’il nous faut !

Je l’ai reconduite, et nous avons déchargé ensemble. Avant de nous quitter,
nous avons échangé un baiser sans fin dans le corridor sombre.

Je conduis. Lentement. Très lentement. Quelque chose s’est abattu sur moi
comme une chape de plomb, et j’ai froid. Bien des fois, j’y ai pensé, mais
jamais plus d’un instant. Très vite, j’ai réprimé ces idées trop
dérangeantes. Combien de temps allons nous pouvoir nous vautrer dans notre
petit bonheur ? Combien de temps avant que l’on nous surprenne ? Combien de
temps avant que le scandale n’éclate ? Déjà, quelques personnes nous
regardent d’un drôle d’air. Je les HAIS!!! Monsieur Jean ne s’y est pas
trompé. Il nous a prises à part, Renée et moi:

– Soyez prudentes, les filles.

J’ai voulu répondre, mais il m’a arrêtée.

– Non, ne dis rien Jeanette ! Je voulais seulement vous faire savoir que
quoi qu’il arrive, je vous aime beaucoup toutes les deux, et que vous
conserverez toujours mon estime et mon amitié. Mais les gens sont bêtes et
méchants, beaucoup plus que vous ne l’imaginez.

Les réactions de la famille de Renée sont faciles à prévoir. Horreur,
ostracisme, et promesses de damnation. Mes grands-parents ? Oh, Charles,
lui, il comprendra, j’en suis sûre. Henriette, qui sait ? Mais leur peine,
je ne vous dis pas !

Les trois phrases que Renée m’a sorties aujourd’hui montrent que sa décision
est prise. Nous vivrons notre vie ensemble, en dépit de tout, de n’importe
qui et de n’importe quoi.

Couchée dans mon lit, seule dans le noir. Je n’ai nul besoin de réalité. Je
l’appelle, et il est là, le corps de Renée, serré contre le mien. Nos seins
s’écrasent l’un contre l’autre, nos ventres se touchent, nos bouches se
joignent, nos langues s’enlacent. Sa main masse si légèrement ma chatte, et
les sensations féeriques se répandent avec lenteur dans tout mon corps. Je
tremble, alors que ses yeux plantés dans les miens boivent ma jouissance.
J’ai si bon avec toi, mon petit pingouin…

J’ouvre mon album secret, qui contient tous ses visages. Je les regarde un
par un. Je la veux triste pour pouvoir la rendre heureuse. Ennuyée pour
chasser ses soucis. Je veux qu’elle pleure pour pouvoir sécher ses larmes.
Son sourire… son petit sourire confiant…

Je nous revois, debout dans la mer glacée, face l’une a l’autre, les mains
sur les épaules, quand nous avons échangé nos âmes. Je voudrais me fondre en
elle, que nous ne fassions plus qu’une, avant de disparaître dans le néant.
Je m’endors.

Il fait trop chaud, dans cette chambre. Je me réveille baignant dans la
transpiration, vais dans la salle de bain, et me passe un peu d’eau sur le
visage. Je regarde cette femme dans le miroir. Ses seins pendants, son
abdomen un peu rebondi, ses hanches larges, et cette forêt noire qui lui
mange le bas du ventre. Je lui dis:

– Tu n’auras pas d’enfants !

Je retombe dans un demi-sommeil agité. Les trucs se bousculent dans ma tête.

– Jeanette, qu’est ce qu’on fait ? – Nous faisons nos petites courses
ensemble, avant de rentrer chez nous. – Je ne pense pas que ce soit écrit
dans notre avenir… – Petites salopes ! – Oh, Yes, I’m the great
pretender… – Je vous souhaite tout le bonheur du monde. – Salut, les
gouines ! – But you won’t ever have to walk alone, you see… – Ca va faire
sensation, quand je raconterai mon histoire ! – Jeanette. Je suis
heureuse… heureuse… – T’ouvres ta gueule, j’te crève, t’entends ? J’te
crève ! – Entre anormaux, on s’entraide ! – Love love won’t fade away ! – Je
pourrais me taire, si vous êtes bien gentilles… – Je t’aime, Renée. Je
t’aime ! – FUCK THE WORLD!!! – Tu es mon petit pingouin… – Vous
conserverez toujours mon estime et mon amitié. – Sales petites poufiasses
! – Tu n’auras pas d’enfants !

J’ai envie de me taper la gueule au mur. Je sanglote comme une conasse. Puis
heureusement, le noir.

Une autre Jeanette s’est réveillée. Certaines personnes pèsent le pour et le
contre, étudient les arguments… pas moi. Chez moi, tout ça se passe dans
un endroit auquel je n’ai pas accès. Puis la décision sort, en une seconde.
Irréversible.

C’est mouillé et poisseux entre mes jambes. Je rejette les couvertures, et
découvre cette tache brune sur les draps. Ca pue. Quatre jours trop tôt, mon
vagin vient d’expulser ce sang pourri. Avec le reste.

Le dimanche, nous ne devions pas nous voir. Le Lundi, je n’ai pas été à
l’entraînement. Ni le Mardi, ni le reste de la semaine. La barrière a été
bien construite. Pas une seule fois, je n’ai pensé à Renée. Pas une seule
fois, je n’ai vu son visage dans mon esprit. Je vaque à mes occupations
d’une façon mécanique. La chape de plomb est toujours là, le froid aussi,
mais ils s’estompent lentement, l’un et l’autre. Tout aurait fini par
rentrer dans l’ordre sans tous ces coups de téléphone. Mais je n’y suis pas
! Je n’y suis pour personne !

Une fois de plus, il sonne, et ma grand-mère le prend. Elle me regarde d’un
air désolé, un point d’interrogation sur le visage. Elle n’y comprend rien,
Henriette. Je crie, pour que l’on m’entende bien à l’autre bout du fil:

– Si c’est Renée, je n’y suis pas !

Samedi matin, 9h. Désœuvrée, je jette un coup d’œil par la fenêtre du
premier étage. Renée est debout sur le trottoir d’en face, immobile, les
bras pendants le long du corps. A ses pieds, le sac qu’elle a l’habitude de
prendre pour les entraînements. 10h. 11h. Elle est toujours là. 11h30. Elle
a disparu.

Dans un état second, je quitte la maison, marche vers la piscine. La buvette
est quasi déserte, tout le monde est à l’entraînement. Quelques
retardataires se pointent. L’un d’entre eux, Jean Michel. Un gars bien
sympa, qui m’a toujours gentiment poursuivie de ses assiduités. Je
l’appelle, je l’aguiche, l’entraîne vers un banc a l’écart. Nous entamons
une de ces conversations pleines de petits sous-entendus coquins. Ma cuisse
frotte contre la sienne, il me prend la main, et je me laisse faire. Il n’en
croit pas son bonheur, le Jean Michel. Il tente un petit baiser timide, je
lui mords la bouche et nous voila enlacés en train de nous manger et
d’échanger nos langues. Cela ne provoque chez moi qu’un vague dégoût. Je
prends sa main, et la dépose sur un de mes seins qu’il pétrit doucement.
Aucune sensation, mais mécaniquement, mes tétons durcissent.

Jean Michel s’enhardissait de plus en plus lorsque Renée sortit des
vestiaires. Elle s’arrête sur place, lâche son sac, ouvre la bouche. Puis
son visage se déforme, se tord, et les larmes se mettent à couler. Elle
dévale l’escalier en courrant et disparaît. Je n’oublierai jamais ce visage.

Je me dégage de l’étreinte du garçon qui n’a rien remarqué, ramasse le sac,
et le donne a la dame de la buvette.

– Le sac de Renée D. Elle l’a oublié…

Puis sans un regard pour Jean Michel, je m’en vais.

Lundi matin. Je sortais pour me rendre au cours, lorsque je faillis
trébucher sur ce sac poubelle déposé sur le seuil. Je l’ouvre. Un fourreau
de velours noir. Une culotte. Des collants. Des bijoux. Je remonte dans ma
chambre, et pousse dans le sac un autre fourreau, une autre culotte,
d’autres collants, d’autres bijoux. Je descends à la cave, ouvre la porte de
la chaudière du chauffage central, et projette le sac dans les flammes.

Ma vie a continué. Jamais plus, je n’ai pensé à Renée. Jamais plus, je n’ai
revu son visage. Elle n’existe pas. Elle n’a jamais existé. J’ai terminé mes
études, entamé une carrière. Des gens sont morts. Des bébés sont nés. J’ai
connu d’autres amis, d’autres amours… J’ai quitté la Belgique pour vivre
en Californie.

Bien des années plus tard, je passai des vacances à Liège, hébergée par de
vieux amis. Et un beau jour, je me suis retrouvée à la piscine de la
Sauvenière. Comme tout le reste, l’endroit a bien changé.

La première chose qu’on apprenait aux jeunes membres du club, c’était que
lorsqu’on se pointe à l’entraînement, on serre la pince a tout le monde.
Chaque fois que j’entrais ici, je serrais la main d’une vingtaine de
personnes. Mais aujourd’hui, l’endroit est quasi désert, et je ne reconnais
pas un chat.

Sans conviction, j’alignai quelques longueurs, puis me laissai flotter un
moment comme une grosse méduse. En sortant de l’eau, je remarque ce maître
nageur qui n’était pas là tout à l’heure. Je le connais, ce type ! Pas mal
vieilli, bien sûr, et il a pris de l’embonpoint, mais…

– Salut, Jean Michel !

Il hésite un moment.

– Jeanette ! Il me semblait bien que je reconnaissais ce style, et cette
façon de marcher !

Nous entamons une longue conversation, parlant du bon vieux temps, et de
tous les copains et copines du passé. Deux fois, nous sommes interrompus par
des jeunes qui viennent saluer Jean Michel, et comme je lui parle, j’ai moi
aussi droit a une poignée de main, et à un respectueux « Bonjour Madame ».

– Salut, Jean Michel ! Salut, Jeanette !

Ca s’est passé en un clin d’œil. Après nous avoir serré la main, Renée
s’éloigne et plonge.

– Elle vient souvent, la petite Renée ?

Il me regarde goguenard.

– La petite Renée ! Tu veux dire Maître D. !

– Maître D. ?

– Eh oui, Maître D. L’avocate la plus connue de la ville. Une célébrité.

– Mais enfin, elle suivait des cours de cuisine !

– C’est une longue histoire. Si je me souviens bien, elle disparut du club a
peu près a la même date que toi. Il semble qu’elle eut une terrible dispute
avec sa famille. Ils essayèrent même de la faire enfermer en prétendant
qu’elle avait fait une tentative de suicide. Elle passa par toutes sortes de
métiers: Serveuse de café, femme d’ouvrage… Toujours est-il qu’elle arriva
à financer elle-même ses études. A l’époque, les femmes étaient plutôt rares
dans la profession… elle vivota un moment dans un rôle d’avocat d’office.
Jusqu’au jour ou elle prit, gratuitement, un cas dont personne ne voulait:
une femme accusée d’avoir étranglé ses deux enfants. L’émotion populaire
était si forte que des pétitions circulaient pour la restauration de la
peine de mort. Mais Maître Renée D. démontra que l’enquête de police avait
été bâclée, et prouva par A + B l’innocence de sa cliente. Depuis, elle est
un ténor du barreau.

Jean Michel passe à autre chose, alors que je regarde Renée nager. Elle n’a
absolument pas changé, elle n’a pas vieilli d’un mois. Elle sort de l’eau,
s’essuie…

– Au revoir, Jean Michel ! Au revoir, Jeanette !

Elle s’éloigne…
Eh ben donc, je lisais une histoire sur Revebebe. Et des mots se
changèrent en sensations, en sentiments, en souvenirs… Et Renée est sortie
de ce puits sans fond ou je l’avais enterrée. J’ai écrit cette histoire, et
en l’écrivant j’ai revu chaque moment, entendu chaque parole, ressenti
chaque sensation. J’ai revécu le grand amour de ma vie.

Amour que j’ai soigneusement détruit. La Jeanette qui voulait conquérir le
monde s’est lâchement pliée aux dictats de la stupide moralité générale.
L’amour et la confiance de Renée étaient totales. J’ai écrasé tout cela sans
aucune pitié, sans aucune bonne raison.

Pendant des semaines, son petit visage déformé par la douleur a plané
au-dessus du mien, et j’avais tellement envie de me la plaquer au mur, ma
sale gueule.

Mais je vous l’ai dit, l’être humain a cette faculté étonnante d’effacer les
souvenirs coupables, et peu a peu, mes sentiments ont change. Oh non, Renée
ne disparaîtra plus, elle restera toujours présente dans un coin de mon âme.
Mais à présent, le souvenir qui revient est celui du dernier slow que nous
avons dansé ensemble. Les mots et la musique de « The Great Pretender ».

J’en ai retrouvé les paroles sur l’internet. Et pourquoi ne suis-je pas
surprise de constater que ces paroles décrivent parfaitement cette foldingue
de Jeanette ?
Oh, yes, I’m the great pretender, (14)
Pretending that I’m doing well ;
My need is such, I pretend so much,
I’m lonely but no one can tell.

Oh, yes, I’m the great pretender,
A-drift in a world of my own ;
I play the game, but to my real shame,
You’ve left me to dream all alone.
Too real is this feeling of make believe,
Too real when I feel what my heart can’t conceal,

Oh, yes, I’m the great pretender,
Just laughing and gay like a clown ;
I seem to be what I’m not, you see,
I’m wearing my heart like a crown ;
Pretending that you’re still around.

Pour G. Qui est aussi J. Quoiqu’il puisse en penser.

San José, Janvier 2002. © Jeanne Libon (Jeanette).

Ce récit a eu l’honneur d’obtenir le 1er prix du concours des histoires
érotiques décerné par Revebebe pour Janvier 2002 et le 2ème prix du concours
des histoires érotiques décerné par Revebebe pour l’ensemble de l’année 2002

Quelques traductions :
(1) Tout est réservé, Mademoiselle.

(2) Monsieur, je n’ai jamais si bien mangé de ma vie.

(3) Aimez vous les moules ?

(4) Lorsque ton amour t’a laissée toute seule
Et que personne ne te parle
N’as tu pas envie de pleurer ?
N’as tu pas envie de pleurer, de pleurer, de pleurer ?
Viens mon bébé, pleure sur moi!

(5) Il n’y a rien de plus triste qu’un verre de vin que l’on boit seule
La solitude, la solitude, quel temps perdu!
Mais tu ne devras jamais plus marcher seule,
Vois tu ? Alors, prend ma main,
Et marche avec moi !

(6) Non! Nous ne devrons jamais plus marcher seules !

(7) – Mesdemoiselles, vous pouvez choisir les deux dernières chansons.

(8) – Pourquoi nous ?

(9) – Pourquoi vous ? Parce que vous semblez vivre les Stones, respirer les
Stones, transpirer les
Stones. Et vous embrasser comme vous l’avez fait, c’est comme de crier au
monde entier
d’aller se faire foutre, et nous adorons ca !

(10) – Pouvez vous chanter « Not Fade away » ?

(11) Ca sera comme cela, et pas autrement !
Tu me donnera ton amour
Je t’aimerai nuit et jour
Et cet amour ne diminuera jamais

(12) Voir (14).

(13) J’ENCULE LE MONDE!!!

(14) Oh, oui, je suis celle qui fait semblant,
Qui prétend que tout est bien;
Mon besoin est tel, Je simule si fort;
Je suis toute seule, mais nul ne le sait.

Oh, oui, je suis celle qui fait semblant,
Dérivant dans mon monde à moi;
Je joue le jeu, mais à mon grand regret,
Tu m’as laissée rêver toute seule.
Elle est trop réelle, cette sensation de faire semblant,
Alors que mon cœur ne peut cacher mes sentiments.

Oh, oui, je suis celle qui fait semblant,
Je ris ! Je suis gaie comme un clown !
Mais vous voyez, je ne suis pas celle que vous croyez,
J’arbore mon cœur comme une couronne;
Prétendant que tu es toujours là…

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