Prostitution en Suisse

Août 2016 Suisse

Alors que la France a pris un absurde virage abolitionniste au printemps dernier, en Suisse, la prostitution est légale et organisée de manière à protéger au mieux les travailleurs du sexe.

«J’ai des clients de Montpellier, Paris ou Lyon. A Genève, ils viennent chercher la tranquillité ». Le discours d’un banquier privé ? Presque. Sauf que le secret bancaire est mort, pas celui des lupanars, où l’on peut consulter le “menu des plaisirs” sans crainte d’une descente de police. Et là où le premier met l’argent à l’ombre, Madame Lisa, tenancière du Venusia, plus grand salon érotique d’un canton qui en compte 155, aide à ce qu’il soit bien dépensé. Y compris via le supplément “pétale de rose” à 100 francs, vendu façon doigt de chantilly sur sa boule de glace.

En Suisse, la prostitution est légale et une industrie (presque) comme les autres. Plus à la mode néo-libérale à la Houellebecq que filles de joie à la Brassens d’ailleurs. A Genève, les travailleurs du sexe payent des impôts, ont un syndicat et sont enregistrés auprès de la Brigade des Moeurs. Madame Lisa est l’excellente VRP de son établissement. «Je le fais visiter pour sortir de l’image un peu sale qui collait aux maisons closes». Avec son spa, son défibrillateur (pour les émules de Félix Faure) et ses 17 chambres aux décos recherchées, le Venusia ressemblerait presque à un hôtel.

Même si le donjon aux allures de salle de torture de films de série Z rappelle que dormir n’est pas l’activité qui y est privilégiée. Encore que, manque de chance, l’une des deux dominatrices s’est cassée le pied. Pas sur la croix SM clouée d’une peluche de Mickey au moins ? «Non, non, en descendant du train» explique la Française d’origine. Dans le cigar lounge, espace de détente après détente des clients, cet après-midi-là, quelques-unes des 70 filles de l’établissement discutent. Beaucoup de Françaises, d’Espagnoles, ou de filles de l’Est. Jeunes, jolies et intelligentes.

«Certaines sont là pour payer leurs études, ce n’est pas normal que la situation économique ne leur permette pas !» s’indigne Madame Lisa. «Ce qui les pousse à venir à Genève, c’est la crise économique dans les pays d’origine et les législations répressives» abonde Michel Félix, porte-parole d’Aspasie, l’association référence de défense des droits et de prévention santé des travailleurs du sexe. Et aussi les bourses bien remplies des fonctionnaires internationaux, cadres et autres CSP+ de cette ville où l’argent est partout…

De quoi alimenter un boom de la prostitution sur les bords du lac ? Le fantasme ressort périodiquement, notamment à chaque loi abolitionniste en France, mais les chiffres ne le disent pas. De 1213 inscrits à la Brigade des Moeurs en 2014, on est passé à 1366 en 2015. La Cour des comptes de Genève estime «que 800 à 1000 travailleurs sont actifs chaque jour». «Contrairement aux gros titres médiatiques, il n’y a pas eu de vague d’arrivées massive. Mais la concurrence s’est quand même accrue nettement avec les bilatérales qui permettent aux ressortissants de l’Union Européenne de venir travailler 90 jours par an» nuance Michel Félix.

Beaucoup d’occasionnelles venues des pays du sud – Espagne principalement, Italie un peu – qui sous-louent des appartements pour trois semaines et qui proposent leurs services par petites annonces. Dûment enregistrées malgré tout. Au contraire d’autres. «Lorsqu’il y a le Salon de l’Auto, les hôtels sont envahies de filles pas déclarées et qui offrent des prestations que l’on ne peut pas offrir, comme des rapports non protégés» regrette Madame Lisa. Genève n’est pas le siège de l’OMC (Organisation Mondiale du Commerce) pour rien, ici on aime la concurrence non faussée…

«En Suisse, nous sommes dans un modèle réglementariste. Ce n’est pas la panacée mais il permet les meilleurs conditions de vie et de travail possibles pour les personnes qui se prostituent, mais aussi de lutter efficacement contre les maladies sexuellement transmissibles» souligne Michel Félix. Pierre Maudet, conseiller d’État à la sécurité genevois, s’était d’ailleurs félicité que «la traite des êtres humains soit marginale par rapport à l’ensemble» lorsque la Cour des comptes avait évalué la politique publique qui vise justement à protéger les travailleurs du sexe des réseaux criminels.

Les salons d’un côté, la Brigade des Mœurs de l’autre, sont d’ailleurs efficaces pour protéger des violences. Du coup, les acteurs de terrain ne se battent pas pour interdire la prostitution, mais pour offrir aux travailleurs du sexe un rééquilibrage des rapports économiques. L’une des revendications portée par la Cour des Comptes est de donner la possibilité de louer un appartement à deux prostituées sans que cela soit considéré comme un salon de massage. Ce qui leur permettrait d’échapper aux commissions de 30 ou 35% reversées parfois aux propriétaires de chambres ou aux responsables de salons. Et conquérir une indépendance de travailleur indépendant, vers lequel le modèle suisse tend, même si le travail du sexe ne sera jamais vraiment comme les autres…

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