Amnesty International demande la dépénalisation de la prostitution par Sonia Kubler
Les travailleurs/euses du sexe demandent l’égalité des droits
Il a fallu deux années de recherche à Amnesty International pour arriver à la conclusion révolutionnaire selon laquelle le meilleur moyen d’assurer la sécurité et le respect des droits civiques des travailleurs sexuels est de dépénaliser leur profession. Pas la légaliser, mais la dépénaliser.
La différence est subtile puisque la première permet à l’Etat de réglementer le travail sexuel sous forme de décrets extrêmement spécifiques et qu’on peut facilement violer, tandis que la deuxième supprime simplement la loi interdisant le commerce sexuel en le reconnaissant comme étant un travail comme un autre.
A la suite d’un vote à Dublin la semaine dernière, le conseil exécutif d’Amnesty a annoncé qu’il allait échafauder un nouveau modèle de législation pour aborder ce sujet, et en attendant, a appelé les Etats à s’assurer que les travailleurs sexuels bénéficient d’une protection juridique totale et égale face à l’exploitation, le trafic et la violence, en leur permettant d’exercer et de s’organiser de manière indépendante
“La dépénalisation permet aux travailleurs sexuels de maîtriser eux-mêmes la gestion de leur commerce et de leur emploi”, explique Liad Kantorowicz, âgée 37 ans, consultante chez Hydra, la première organisation allemande de soutien et de conseil pour les travailleurs du sexe. Kantorowicz, qui a quitté Israël pour Berlin il y a cinq ans et travaillé comme prostituée pendant seize ans s’explique: “Ce modèle renforce leurs liens avec la société civile et leur confiance envers la police. Ainsi lorsqu’ils en ont besoin, ils peuvent demander de l’aide sans craindre que quelqu’un trouve une raison pour leur donner une amende, les arrêter ou les expulser”.
En Allemagne, la prostitution a été légalisée en 2002 par une loi fédérale, mais chaque Etat et chaque ville garde la liberté d’imposer ses propres limites. En conséquence, la loi n’a pas été pleinement mise en œuvre dans tous les “Länder” du pays qui préfèrent par exemple, restreindre le commerce sexuel à des zones spécifiques., créant ainsi un problème principalement pour ceux qui préfèrent travailler à leur compte ou dans de petits bordels, plutôt que dans des chaînes de maisons close de type McDonalds qui ont rapidement pullulé dans ces quartiers.
“Cette condition n’existe dans aucun autre secteur d’activité”, a confié Kantorowicz à i24news. “Et si vous sortez de ces zones, vous vous mettez sous le coup de la loi.. Si les législateurs ont reconnu ce travail, pourquoi ne pas l’autoriser partout, comme tout autre commerce ? Repousser les prostituées hors des villes dans des zones inhabitées ne sert à rien d’autre si ce n’est les mettre en danger et perpétuer leur exclusion de la société”.
La décision d’Amnesty a provoqué de vives critiques.“Amnesty se bat pour les proxénètes”, affichent les titres des médias, même dans les régions relativement progressistes d’Allemagne, où les militantes féministes dénoncent la décision de “soutien aux coupables au détriment des victimes”.
Avant que la résolution ne soit adoptée, la Coalition contre le Trafic de Femmes (CATW, ndlr) a averti que son approbation coûterait à l’organisation sa crédibilité et “polluerait sérieusement” son nom. Cette position a été soutenue par près de10.000 signataires d’une pétition mise en ligne, dont des organisations de droits des femme, des médecins et des stars comme les actrices Meryl Streep, Kate Winslet et Emma Thompson.
“Les stars d’Hollywood ne connaissent rien à la vie des travailleuses du sexe, et ne comprennent pas les conséquences de cette décision”, a affirmé Kantorowicz, balayant les critiques. “Le trafic n’a rien à voir avec l’exploitation. L’Allemagne dispose déjà d’une très bonne législation contre le trafic qui est appliquée de manière efficace et a permis de réduire considérablement ce phénomène ces dernières années”.
“D’autre part, l’exploitation est facilitée par le fait que les travailleurs sexuels sont généralement des migrants, des femmes et des transgenres qui sont d’ores et déjà vulnérables socialement. Il existe des institutions, certaines d’entre elles financées par le gouvernement, qui tentent d’aider ces personnes lorsqu’elles sont victimes d’abus ou travaillent dans de mauvaises conditions. Mais elles ne signalent leur maltraitance uniquement lorsqu’elles ont confiance en ces organisations et qu’elles sont certaines de ne pas être ‘arrêtées ou protégées’ ”, souligne-t-elle.
“Lorsqu’avec Hydra nous nous rendons dans les maisons closes et proposons nos services, souvent nous nous retrouvons devant une porte close car les travailleurs ne font pas la distinction entre ceux qui veulent aider et ceux qui sont une menace et ils vivent ainsi dans la crainte.
Les descentes de police dans les maisons closes ne font qu’augmenter depuis 2012, bien que cela relève de la responsabilité des inspecteurs du Travail, comme l’avaient prévu les législateurs”.Mais ce n’est qu’aujourd’hui qu’ils se disent prêts à étendre leur réglementation.
L’année prochaine, de nouveaux amendements concernant la loi sur la prostitution devraient prendre effet. Les prostitués devront se présenter auprès des autorités, se soumettre à un examen de santé obligatoire et aller à une consultation sur la nutrition et la drogue. S’ils sont jugés aptes au travail sexuel, une autorisation de travail leur sera remise afin qu’ils puissent la présenter aux clients et aux employés.
“On nous traite comme des animaux, on nous examine pour voir si nous sommes propres et ne sommes pas un risque pour la société. Il en était de même à l’époque des Nazis”, s’indigne Kantorowicz. “Vous voulez empêcher notre exploitation ? Dans ce cas, dépénalisez et renforcez notre société civile”.
Pour le prouver, elle donne l’exemple de la Nouvelle-Zélande. Il s’agit du premier pays à avoir accordé aux femmes le droit de vote en 1893, et est aussi le seul zu monde (à l’exception d’un seul Etat d’Australie) à avoir effectivement dépénalisé la prostitution. “Je pourrais aller maintenant voir la factrice et lui demander si elle veut me payer en échange d’un service sexuel, et cela serait parfaitement légal”, a expliqué Catherine Healy, 59 ans, co-fondatrice de l’Association des Prostituées de Nouvelle-Zélande (NZPC, ndlr) établie en 1987, longtemps avant que la loi ne change en 2003. “Avant cela, c’était illégal de demander de l’argent en échange d’un acte sexuel, mais pas pour les clients, dont les démarches étaient toujours considérées légales”.
Elle attribue le succès des efforts pour faire passer la nouvelle législation aux organisations féminines, aux organismes de santé publique et aux associations de droits civiques, qui ont compris que pas grand chose ne pourrait être atteint par le biais d’une législation restrictive. “Le combat a été très serré”, affirme Healy, elle-même prostituée pendant sept ans, “et nous nous disputons encore sur certaines questions. Sauf qu’aujourd’hui, les travailleurs sexuels disposent de plus d’alternatives et de pouvoir sur leur propre travail”.
“Vous pouvez travailler hors de chez vous ou travailler en équipe avec des amis pour assurer votre sécurité. Vous pouvez publier des annonces sur internet ou sur papier. Nous n’avons pas de registre d’Etat sur lesquels nos noms sont inscrits, ni même d’examen obligatoire à passer. La seule obligation concerne les maisons closes, qui doivent obtenir une attestation les autorisant à employer d’autres personnes, mais même la police n’a pas accès à cette base de données”.
Cette politique a été réexaminée à plusieurs reprises par le gouvernement, notamment à la demande d’organisations confessionnelles locales, mais on n’a trouvé aucune raison de modifier la législation A chaque fois qu’un conseil municipal tente de restreindre leur profession, les travailleurs sexuels ont recours à la justice et, dans la plupart des cas, obtiennent gain de cause. Cette même reconnaissance juridique a récemment permis à une prostituée de poursuivre en justice une maison close pour s’être adressée à elle de façon inappropriée. Le responsable a été condamne à 25.000 dollars néo-zélandais (soit 14.676 euros) et à suivre un stage de sensibilisation au harcèlement sexuel.
“Dépénalisation ne signifie pas déréglementation”, insiste Healy. “Cela signifie que les mêmes contrôles auxquels se soumettent tous les lieux de travail, comme les réglementations liées au travail et à la santé, s’appliquent également aux travailleurs sexuels. Lorsque nous avons modifié la loi il y a douze ans, certains ont prédit que la situation allait devenir hors de contrôle…
Il y a cette notion de traiter les travailleurs du sexe comme des enfants que nous devons surveiller deux fois plus, mais il n’y a aucune raison, et notre modèle en est la preuve”.
Polina Garaev (correspondante d’I24news en Allemagne.)
ça date de 2015 et je n’étais pas au courant les médias se sont bien gardé de faire remonter l’info
Bravo a Amnesty International pour cette prise de position courageuse et humaine
Merci pour ces informations et bon courage dans votre lutte très nécessaire. « L’interdiction totale » n’aboutit effectivement qu’à l’exclusion irrémédiable et ni les travailleurs et travailleuses du sexe ni la société n’ont rien à gagner à la « clandestinisation » de la prostitution.