Framm
3 – …et son résultat
par Kassariel
Je tenais un mouchoir appliqué sur ma bouche et mon nez en traversant la zone touchée par un incendie majeur, ce matin. Tout le secteur avait été affecté, comme c’était toujours le cas lors d’un feu important. Avec l’état de décrépitude avancée de la machinerie faisant circuler l’air aux niveaux inférieurs de la cité, la fumée s’était répandue dans une large zone et tardait à complètement se dissiper.
Tout était noir de suie, même les gens qui vivaient ici. La plupart portaient des masques de coton ou encore de tissus, mais beaucoup savaient cette protection illusoire et ne tentaient même pas de se donner cette maigre protection.
Il y avait eu plusieurs centaines de morts – inévitable, avec la fumée -, et de nombreux blessés. La nouvelle ferait peut-être brièvement les manchettes, mais serait rapidement oubliée par ceux qui ne l’avaient pas vécue. C’était ça, vivre sur un monde de plus de quarante milliards d’âmes.
Il y avait tout de même moins d’achalandage dans les corridors, certains ayant la capacité d’évacuer chez de la famille dans une autre zone, et beaucoup des autres restant tout simplement chez eux.
– « Bonjour Monsieur Arkel… »
C’était Alem, l’un des gardes de la bande contrôlant ce territoire. Son ton était enjoué et respectueux. Le genre de gars qui aurait allègrement été tenancier du genre de bordel où les filles étaient gardées en état de dépendance à des drogues dures pour les rendre incapables de voguer vers de meilleurs cieux. Je lui répondis d’une vague courtoisie, comme toujours.
Des portes à droite, des portes à gauche. La fumée ici était beaucoup moins présente, et il m’était maintenant possible de ranger mon mouchoir un peu noirci. Un autre corridor, puis un autre, et j’étais rendu dans mon coin, une zone plus tranquille et propre. Un coup d’œil à ma porte me permit de constater qu’elle n’avait pas été ouverte depuis mon départ. Un petit cognement codé pour avertir Milène, puis je débarrai la porte et entrai. Les lumières étaient éteintes, excepté pour la lampe de chevet.
Milène était assise devant mon ordinateur, portant encore sa chaude robe de chambre grise, la main posée sur son lourd pistolet, la tête légèrement tournée pour s’assurer que c’était bien moi. Juste une petite précaution d’usage. Il n’y avait aucune tension en elle. Il n’en avait pas toujours été ainsi. Dans les mois qui avaient suivi sa capture, elle avait été… très paranoïaque. Pas sans justification. Sa main quitta son arme dès qu’elle fut satisfaite. Je pris le temps d’enlever mes bottes, les plaçant à côté de celles de Milène.
Je déposai les sacs sur le comptoir. De la nourriture achetée avec son argent. Il était hypocrite de ma part de fièrement refuser toute aide de la part de son ordre, alors que j’acceptais son argent pour faire les courses lorsqu’elle était présente. Hypocrite, mais pragmatique. D’une part je n’avais pas les moyens pour la nourrir, et cet argent – le surplus de nourriture acheté – me gardait la tête hors de l’eau. Il n’y avait pas grand travail pour un homme comme moi. Pas beaucoup qui soit honnête.
– « Du nouveau? »
Elle haussa les épaules,
– « rien de spécial. »
Elle avait sa petite routine : elle vérifiait toujours son courriel le matin et en fin d’après-midi. Puis elle scrutait les rapports des services de sécurité.
Je la connaissais un peu trop bien : elle avait hésité un instant avant de me répondre. Je pris le temps de déposer mes sacs sur le comptoir.
– « Vraiment, » lui dis-je en déballant mes emplettes, sans la regarder.
Encore ce petit moment d’hésitation. Puis :
– « je viens d’être assignée à ce secteur. »
Il y avait de la défiance dans sa voix, une dose de combativité. Il ne faisait aucun doute à mon esprit que si elle était assignée à ce secteur, c’est qu’elle l’avait voulu ainsi, et que j’en étais la cause. Nous en avions discuté par le passé, et j’avais toujours rejeté l’idée. Clairement, elle en faisait à sa tête. Encore une fois.
– « Tu peux te faire assigner là où bon te semble. Je suis certain que tu trouveras un logement qui te conviendra. »
– « J’ai déjà trouvé. Comme tu es trop borné pour déménager vers mieux, je vais devoir emménager ici. »
– « Hors de question. » Ma réponse était calme, mon ton sans appel.
– « Je n’aime pas la couleur des murs… » Une voix enjouée, pleine d’enthousiasme.
– « Oublie ça. Et puis il y a d’autres femmes dans ma vie, tu le sais. »
Un demi-mensonge. Deux amies qui avaient fait les bataillons pénitentiaires avec moi. Je ne les voyais que très rarement, mais nous gardions le contact chaque semaine. Il y avait aussi cette ennemie personnelle avec qui j’entretenais une relation assez compliquée et très infréquente. Pour le reste… personne ne m’intéressait. De toute manière, la plupart des femmes voyaient mon halo noir et déguerpissaient.
– « Tu me donneras tes factures d’hôtel, » elle me répondit, sans sourciller.
Elle savait probablement mieux que moi avec qui j’avais été, et quand. Un des nombreux problèmes avec les paladins, c’est qu’ils n’avaient aucun respect pour la vie privée, et se sentaient libres de fouiner dans les bases de données, d’utiliser les caméras de sécurité, de faire ce qu’ils voulaient. Ils avaient l’accès, n’avaient aucun compte à rendre. Un paladin était choisi par Milikki elle-même : le gouvernement, la théocratie, le peuple, tous acceptaient cela et faisaient en conséquence. Il n’y avait aucun doute à mon esprit que Milène gardait une trace de mes activités.
– « C’est mon appartement, ici. Tu peux aller ou bon te semble, mais ça, c’est chez moi. » Dis-je avec un geste qui englobait mon modeste territoire.
Elle me regarda droit dans les yeux.
– « Plus maintenant. Fais de moi ce que tu veux, mais je reste. »
Aucune surprise.
– « Drôle de manière d’obéir à ton Maître… »
Son sourire était amusé.
– « Tu sais très bien que ce n’est pas ainsi que ça marche. Pas avec moi. »
Ce n’était malheureusement que trop vrai. Elle choisissait les ordres auxquels elle voulait bien obéir. Ça… m’allait. Car les ordres que je voulais le plus voir obéis étaient aussi ceux qu’elle désirait profondément recevoir, et obéir.
Elle était revenue hier, après une absence de quatre mois, un long silence qui m’avait fait sourire, car cela voulait dire qu’elle avait été fort occupée à s’accomplir de sa dernière « mission ». Et comme de fait, ce matin, en allant faire mes achats…
Je pris le magazine, et allai m’étendre sur le lit, sur le côté, proche de la lampe allumée. L’image sur la couverture était… sublime. Je n’avais pas encore ouvert le magazine, mais je savais déjà que ce cadeau précieux se devait d’être savouré, page par page. Elle faisait la couverture. C’était bien elle, mais elle était méconnaissable. Elle était à genoux, les mains jointes comme pour une prière, la tête abaissée. Prise dans le noir, cette photo avait pour seule source de lumière son halo. Une lumière diffuse qui la plongeait dans les ombres, donnait une grande luminosité à sa tunique d’une pureté blanche… et mettait en valeur ce qui avait été ajouté par traitement numérique, des ailes d’ange déployées. Une énorme épée était portée au dos, entre les ailes. Sur sa poitrine, brodé de fil d’argent, à moitié caché par le baudrier, le symbole de l’ordre des anges guerriers.
Une image d’une telle pureté, d’une telle innocence, d’un tel sens artistique…
Comment avait-elle réussi à convaincre ce magazine de prendre un risque aussi énorme ? Le magazine était sorti ce matin même… et je savais déjà que les nouvelles ne pouvaient avoir qu’un seul sujet. Le gouvernement allait assurément fermer cette compagnie, emprisonner ces dirigeants, brûler toutes les copies du magazine, et le clergé condamnerait dans des termes clairs cet incroyable affront. Ils auraient été fiers de voir une telle image sur n’importe quoi… sauf dans un magazine érotique.
Non. Milène devait avoir fait quelque chose pour empêcher la censure. Le magazine n’aurait jamais été publié, n’aurait jamais obtenu l’approbation des censeurs.
De longues, longues minutes à admirer cette photo.
– « Tu aimes ? »
Elle cherchait les compliments alors que mon admiration de cette seule photo parlait d’elle-même. Cette question ne méritait pas de réponse, mais je jetai un regard en sa direction… pour réaliser qu’elle avait triché. Elle avait laissé sa robe de chambre glisser, pour révéler la tunique blanche qu’elle portait. La même que sur la photo. Et puis il y avait son halo, maintenant activé, la plongeant dans cette lumière de pleine lune qui avait un tel impact sur cette photo. Il lui manquait l’épée, les ailes d’ange. Son apparence était différente, mais… l’effet était similaire. Un effet de pureté, de quasi-innocence.
Son expression était faussement timide, ses yeux un peu écarquillés. Elle avait l’air quelques années plus jeune qu’elle était en réalité.
Elle vint me rejoindre sur le lit, me fit tourner sur le dos. Sans un mot, elle défit l’avant de mes pantalons, se tenant entre mes jambes entrouvertes. Ce qu’elle voulait était clair, et je détournai mon attention d’elle, et commençai à tourner les pages, à admirer ces photos qui étaient autant de cadeaux somptueux. Le thème était clair : un ange guerrier, pure, vertueuse, innocente. J’avais rencontré un ange guerrier, une fois : il était intervenu lors d’un combat désespéré contre des démons trop puissants pour que de simples mortels puissent y faire face. Une créature d’une beauté indescriptible, insufflant courage et espoir à tous ceux qui se tenaient dans sa radiance. Des milliers de soldats étaient tombés dans ce seul combat qui n’avait duré que quelques minutes. Pur ? Peut-être. Vertueux ? Probablement. Mais innocent ? C’était une qualité que je n’étais pas prêt à accorder à un ange basé sur ma courte expérience… et ce que je savais de ma mère.
Cela n’importait pas. Seul l’effet était important.
Les photos… avaient été prises par le plus renommé des grands photographes érotiques de ce monde. Ça… paraissait, partout. Pas un sein, rien du tout de révélé… mais tant de choses explicitement suggérées, de manière si exquise, si… innocente.
J’avais la bouche de Milène autour de mon membre, sa langue me léchant doucement, ses doigts appliquant caresses et pression là où il le fallait. Et je ne lui portais aucune attention, mes yeux rivés aux pages, savourant chaque détail… les fières et féminines courbes de Milène, des postures « d’action », de combat, avec la tunique en mouvement, révélant cuisses, épaules, parfois plus, même si la caméra ne le montrait pas. Les expressions. Milène, déterminée. Milène, donnant un coup d’épée, une expression victorieuse illuminant son visage. Milène, sans sa tunique, se lavant dans un petit lac la nuit, son dos, le haut de ses fesses, un bras étendu vers le côté alors que l’autre utilisait le savon sur lui. Plusieurs autres de ces images, révélant un peu, suggérant plus encore. Et toujours, son halo pour seule lumière.
Sa langue, sa bouche, ses doigts, me travaillant, comme je le lui avais montré au cours des années. Faisant ces choses que j’aimais le plus. Que mon plaisir, que ma satisfaction, déjà sans fond…
Je lui fis part de mon appréciation, jouai avec elle, en lui parlant de ces milliards d’hommes de tous âges qui se masturberaient à la vue de ses photos. De ces millions qui devaient le faire, au moment présent. Et je sentais combien mes mots l’affectaient. Des menaces, d’envoyer des cadeaux anonymes à ses frères et sœurs d’armes. En particulier, à ce paladin qu’elle avait tourmenté en mon nom. Elle gémissait, poussait de petits cris aux idées les plus osées. J’étais loin d’avoir la compétence de son photographe, mais moi aussi je pouvais faire usage d’une caméra, et peut-être… elle me mordit presque, surprise par un orgasme puissant et prématuré, lorsque je lui dis que… peut-être, un jour, un jour proche, des photos aussi habiles… mais des photos plus pornographiques qu’érotiques. Un ange guerrier, capturée par un simple mortel, utilisée, abusée pour la caméra…
Des pensées à voix haute, mais, déjà, elle et moi savions que ce n’était pas une question de « si », mais de « quand ». Je détestais tellement Milikki que cette idée créait un besoin lancinant. Je nourrissais son plaisir et le mien, lui disant ce qui allait arriver à cet ange. Non pas une fois, mais plusieurs. Son photographe avait une réputation pour l’osé, le provoquant. Je ne le connaissais aucunement, mais je savais qu’il prendrait ces photos de moi et Milène…
Milène haletait, se frottait toujours contre les couvertes. Elle laissa aller mon pénis. « La dernière page… »
Je tournai la page. Une photo de Milène, avec un sourire retors, une expression repue, luisante de sueur, couchée, une jambe pliée. Toujours en tunique, quoique celle-ci soit maintenant fripée, humide de sueur. À peine décelable dans les ombres, une tache sombre sur sa tunique, à l’aine. Déflorée. À ses côtés, l’épée, dont la poigne luisait…
« Maître… la petite opération dont tu m’as parlé, il y a un an… »
Elle n’avait pas besoin d’en dire plus. Je savais. Une petite opération, toute simple, pour se refaire une virginité. Elle… avait bien choisi son moment.
C’était trop intense. Ça. Les photos. L’attention qu’elle m’avait donnée. Et puis cette pureté, cette innocence qu’elle affectait. Je lui tins la tête par les cheveux d’une main, et me masturbai de l’autre. Quelques secondes, et j’y étais. Je détestais tellement Milikki que de faire cela à une de ses paladins, au rôle d’ange que Milène tenait… elle savait combien c’était puissant pour moi. Un puissant orgasme, prétendant éjaculer au visage d’un ange. Que de satisfaction! Que de vengeance!
Ça vous a fait bander, vous ?
Ben pas moi !