Serva tua sum par Patrik

Serva tua sum par Patrik

Ça va faire à présent bientôt quatre ans que je suis devenue une femme célibataire. Quatre ans que je n’ai plus de bonhomme dans les jambes, après les avoir subis durant vingt ans et un peu plus. Parfois, je sens que mon lit est vide, mais quand je songe à ce que j’ai pu vivre avec l’autre sexe, je ne regrette pas de pouvoir diriger ma vie toute seule, sans comptes à rendre à qui que ce soit.

Je ne m’en porte pas plus mal.

Les soirées entre copines, les restaurants, les sorties, les concerts, ou même les réunions de famille me remplissent les soirées que je passe dans ma petite maison. Les enfants ? Je n’en ai aucun, mes ex ne voulaient pas s’encombrer de marmaille. Au début, j’étais jeune, je voulais profiter de la vie, puis le temps est passé, vite, très vite, trop vite. Et puis, quand on rencontre le nouvel homme de sa vie, on ne lui saute pas dessus en lui demandant quand il compte nous faire un enfant…

Donc, disais-je, les soirées, il faut bien les remplir. Il y a bien des clubs, les maisons de la culture et autres associations. Mais ça coûte quand même, et à la longue, les petits ruisseaux font les grandes rivières… Puis Internet est venu, avec l’ADSL !

De fil en aiguille, je me suis doucement acheminée vers le domaine dans lequel je suis à présent très connue : la domination, le sado-masochisme soft. Franchement, au tout début, je n’aurais jamais cru que je puisse être intéressée par ce que je trouvais être de la perversion il y a quelques années. Mais voilà, on change, et je ne fais pas exception à cette règle… J’y suis allée petit à petit, j’ai surfé pas mal, j’ai commencé à correspondre. À présent, nous sommes devenus une petite communauté de la même région, axée sur le même sujet, le tout dans une bonne convivialité, dans la joie et la bonne humeur, même si le thème en question est assez scabreux quand même…

J’ai à présent un site particulièrement visité, basé sur mon pseudo Symya, un forum fréquenté ; il y a plein de monde qui vient me rendre visite et je tente de répondre à tous. Ajoutez aussi quelques blogs ici et là, plus des participations ailleurs. Je vous prie de croire que ça prend du temps à entretenir et faire vivre. Sans parler de la photo numérique…

Oui, je me mets en scène avec mon appareil sur pied et sa petite télécommande très discrète. Des photos composées, réglées au millimètre, toutes planifiées d’avance sur croquis. Rien au hasard. Puis direction les logiciels de retouche pour améliorer le tout. Oh, pas forcément pour m’embellir coûte que coûte, mais disons, pour améliorer l’ordinaire et m’offrir une part de rêve, ainsi qu’à mes visiteurs… J’essaye, par petites touches, par allégorie, de transformer mes photos en tableaux. Et ça me réussit assez bien.

Idem pour mes textes. Ceux-ci explorent une face soumise de ma petite personne, cette envie d’appartenir à quelqu’un, de lui obéir, de lui faire aveuglément confiance. C’est un aspect que je m’ignorais, je l’ai découvert en lisant certains textes, en regardant certaines photos. Une attraction-répulsion. Maintenant, la plupart de mes textes sont axés sur le rapport dominant-dominé. Pareil sur mes photos, sauf que j’y suis toute seule, mais l’idée est là, présente dans tous les pixels.

Aujourd’hui, méticuleusement, je retouche la dernière photo que j’ai prise : une femme éperdue devant un Maître invisible, attendant son bon vouloir et son ordre qu’elle accomplira, la joie au cœur. Sans me vanter, c’est réussi. Quelque part, ça me fait quand même tout drôle de me voir dans une telle posture ! Encore heureux que je travestisse mes traits, ou sinon, je pense que j’aurais divers problèmes dans la vie réelle ! Ma réalité virtuelle sur Internet est nettement plus sécuritaire à ce niveau…

Je m’étire : j’ai bien travaillé ! D’ici quelques minutes, cette nouvelle photo ira rejoindre mon site ainsi que mes blogs. Distraitement, je consulte ma messagerie ; ah, un nouveau message, celui d’un certain Suétone. Il vient de temps à autre, sa prose est très bien tournée, son site tout autant. J’ai plaisir à converser avec lui et à consulter ses pages. Ce type est capable de présenter des situations très dures avec un naturel confondant. À lire les commentaires qu’il reçoit, il semble avoir un certain succès, pas forcément virtuel, avec les femmes. Je comprends d’ailleurs, les rares photos de sa personne montrent un quadra séduisant, un peu distant, ses manières sont très policées, il semble être très pragmatique dans ce qu’il raconte, quant à ses textes, c’est de la haute volée ! Que demande d’autre une femme ?

J’ouvre son mail, toujours son style élégant. Je le lis rapidement, j’écarquille les yeux vers le milieu du texte ; cette fois-ci, la teneur du texte me surprend : il me propose ni plus ni moins d’être sa soumise !

Moi, sa soumise ?

La pièce tourne autour de moi. Étonnée, je m’adosse à mon siège, tandis que je relis calmement et lentement sa prose :

Cela va faire un certain temps que je parcours votre site et vos blogs, que je lis de même vos textes et que j’admire vos photos. Vous avez incontestablement du style, aussi bien dans vos projections virtuelles que dans ce que vous êtes réellement.

Et incontestablement aussi, il est flagrant que vous aspirez de façon plus ou moins consciente à être une soumise. Quand je lis vos textes, j’y constate une lente progression vers ce nouvel état.

Je ne peux pas lui donner tort, mais je n’aime pas beaucoup qu’on m’écrive noir sur blanc ce qui se tapit au fond de moi. Ça me fait tiquer. Je soupire durant un long moment puis je continue ma lecture :

Il n’est pas de mon ressort d’expliquer pourquoi ni comment, je constate. J’avoue avoir passé un certain temps à analyser toute votre production, qui, je le rappelle, est de haute qualité. Je ne dis pas ça par politesse ou calcul, c’est un fait avéré et sans conteste.

Ça fait toujours plaisir à lire, et j’ai tendance à le croire. C’est vrai que je m’applique du mieux que je puis. Je continue :

J’en reviens à ce qui m’amène auprès de vous. Je pense que vous êtes à présent prête à franchir la prochaine étape : le passage à l’acte, la concrétisation de ce que vous désirez au plus profond de vous-même, même si vous n’avez pas une conscience nette de cela.

Là, je trouve qu’il pousse un peu, même beaucoup ! De quoi je me mêle ? Je secoue la tête, j’hésite entre mettre ce mail à la corbeille ou continuer à le lire. Une brève hésitation et je poursuis ma lecture ; j’en arrive au passage crucial :

C’est ainsi que je vous propose mes services pour vous guider vers la voie royale de la soumission, vers ce plaisir subtil et étrange d’obéir à un Maître qui représentera pour vous votre horizon, votre ciel, celui dont le plaisir conditionnera le vôtre.

Même si c’est quand même bien tourné, je tique beaucoup. Bon, je reconnais que je dois avoir une petite inclination, mais de là à me soumettre aux quatre volontés d’un Maître, il y a un océan ! Et puis, j’ai réussi à me débarrasser des bonshommes, ce n’est certainement pas pour me mettre sous la coupe réglée de l’un d’eux !

Je comprends fort bien que vous puissiez être surprise de cet email. Je pense même que vous vous demandez :  » pourquoi une telle proposition ?  » Mais, comme je vous l’ai déjà écrit dans les précédentes lignes, cette demande est enfouie en vous, sans que vous en ayez conscience. Il suffirait de bien peu de choses pour qu’elle éclate en plein jour.

Vous allez dire que je m’avance beaucoup ou que je suis présomptueux mais si cette tendance, votre désir enfoui, remonte sous peu à la surface, vous risquez de tomber sur des individus peu recommandables, des caricatures de Maître, des sombres machos tout juste bons à hurler des ordres et à humilier leurs partenaires. Or le rapport dominant/dominé n’est pas cela et vous le savez déjà, n’est-ce pas ?

J’apprécie beaucoup votre travail, vos photos, vos textes, vos participations, et même si je me mêle de ce qui ne me regarde pas, je serais extrêmement désolé que vous tombiez dans de mauvaises mains. Je préfère nettement que vous tombiez dans les miennes, je n’y vois que des avantages… Vous connaissez déjà ce que je fais, je pense que vous avez donc une idée plus ou moins précise de qui je suis. Et comme ça va faire un certain temps que mon blog existe, si j’étais un dissimulateur ou un menteur, je me serais trahi tôt ou tard. À moins que je ne sois bon comédien, ce qui est une éventualité…

C’est vrai que j’ai toujours pensé du bien de Suétone, ça va faire à présent au moins trois ans que je surfe sur ce qu’il écrit, et toujours, il y a eu la même constante de ton. C’est un pragmatique qui met bien en balance le pour et le contre, et très souvent, je l’ai vu conseiller diverses personnes, et, à mon humble avis, il était de bon conseil. Mais je puis me tromper…

Concrètement, si vous le désirez, je me propose de vous initier à votre rythme à ce nouvel univers auquel vous semblez tendre. Bien sûr, avant quoi que ce soit, nous nous mettrons d’accord sur une charte qui sera pleinement approuvée par vos soins. Vous connaissez mon point de vue de par mon blog, vous savez qu’il y a différents paliers et qu’il ne faut certainement pas mettre la charrue avant les bœufs, surtout dans ce domaine.

À présent, réfléchissez-y, prenez votre temps. Je respecterai votre décision, quelle qu’elle soit, ce qui est la moindre des choses.

Cordialement,

Suétone

Il est des jours dans la vie où on se demande si on ne rêve pas debout. Non, à prime vue, je ne suis pas dans mon lit et je ne dors pas, je suis bien réveillée, et ce, depuis quelques heures. Je ne sais pas comment je dois prendre cette marque d’intérêt.

Je mentirais si je disais que ça ne m’intéresse pas. Suétone a bien mis le doigt sur une éventuelle latence de ma part. Mais entre une latence et la réalité, il y a une marge. Je décide de ne plus y songer.

Mais ça me poursuit toute la fin de la journée, toute la soirée et toute la nuit !

Le lendemain, j’ai des tas de choses à faire à mon travail. Mais ça me poursuit toujours durant le trajet, durant la matinée, durant le midi, durant l’après-midi. Quand je me glisse dans ma voiture pour retourner chez moi, c’est toujours là, insidieusement. En rogne, j’ouvre la porte de mon chez-moi et je jette mon manteau sur le canapé. Je décide d’oublier en me consacrant à mes retouches de photos. Tandis que l’ordinateur se lance, je me confectionne un expresso que je savoure béatement.

Pleine d’entrain, je fais face à l’écran bleuté et je lance toutes mes applications usuelles. Je consulte les commentaires que j’ai pu avoir, j’y réponds, une bonne heure se passe ainsi.

C’est alors que je constate sur la fenêtre de mon logiciel de dialogue en direct (pas de publicité pour un quelconque éditeur) que Soupir du Matin est déjà en ligne. Je m’interroge : j’y vais, j’y vais pas ?

Soupir du Matin est une soumise. Elle est déjà passée dans les mains de Suétone, il y a quelque temps, il me semble. Comme on dirait actuellement, dans ce domaine, elle est assez grave ! Mais pour avoir des informations de première main, je ne vois pas mieux qu’elle : elle connaît tout le monde ou presque, puisqu’elle a été dans les mains de presque tout le monde…

– Bonjour, comment vas-tu (en réalité, on écrit en style SMS ou pire, mais ici, je retranscris en clair) ?
– Bonjour à toi, Symya ! Moi, ça va bien !
– Tant mieux. Je vais faire court : j’ai une question à te poser sur Suétone…
– Un de mes ex…
– Oui, je sais. Comment est ce type ?
– Oh toi, tu as dû avoir une proposition de sa part, ça ne m’étonne pas !
– Qu’est-ce qui ne t’étonne pas ?
– Oh, aussi bien de lui que de toi…
– Ah bon ?
– Je connais Suétone depuis un certain temps et je consulte régulièrement ton site et tes blogs. Faut pas être sortie de Polytechnique pour en tirer cette conclusion !
– C’est si transparent que ça ?
– Quand on est plongé depuis longtemps dans le monde dans lequel je baigne, on devine vite les non-dits. Je ne vais pas tourner autour du pot durant cent sept ans : comme initiateur, il n’y a pas mieux. Idem pour aller plus loin.
– S’il n’y a pas mieux, pourquoi l’as-tu quitté ?

Une petite pause, elle cherche ses mots, sans doute…

– Oh ! c’est tout simple : moi, je cherchais les trucs de groupe avec plein de Maîtres et d’esclaves, tu sais, les trips SM avec échanges et concours de soumission. DM est plutôt un intimiste, du coup, il m’a conseillé un autre Maître, avis que j’ai suivi, sans m’en mordre les doigts d’ailleurs. Mais quand j’ai voulu changer pour aller encore plus loin, j’aurais dû aussi lui demander conseil. Résultat, je me suis farci un malade !
– Je me souviens de l’épisode…
– Oui… C’est d’ailleurs Suétone qui m’a tirée d’affaire et qui m’a aiguillée sur un Maître plus… adéquat… Du coup, maintenant, je ne prends plus de risque, quand j’ai un truc spécifique à expérimenter, c’est à lui que je demande où et comment. Et pour l’instant, tout va pour le mieux.
– Ah bon ?
– Il est de bon conseil, ça c’est sûr, même pour les trucs qu’il ne pratique pas.
– Ah ? Il ne pratique pas quoi ?
– Les trucs trop hard comme les mutilations, le fer rouge, enfin tous ces trucs-là… Le seul marquage qu’il accepte de faire, c’est au feutre indélébile ! Tu enlèves ça à l’alcool à quatre-vingt-dix degrés ou avec divers solvants, mais faut faire quand même gaffe, certains sont nocifs !
– Bref, si je comprends bien, c’est un Maître plutôt soft.
– Par rapport à ce que je pratique actuellement, oui, il est soft, très soft.

Je respire, ce n’est effectivement pas un malade. D’un coup, je songe à quelque chose concernant Soupir du Matin :

– Eh ho, ne me dis pas que tu fais dans le fer rouge et la mutilation ?
– Franchement, si j’avais sous la main un Maître style Suétone en version hard de chez hard, je crois bien que je sauterais le pas dans la joie et l’allégresse !
– Mais… t’es marquée à vie avec un truc pareil !
– Oui, je sais ! C’est pourquoi il faut que tu tombes sur le bon Maître.
– Mais ça fait horriblement mal !
– Oh, tu sais, la douleur et le plaisir sont si proches…
– Quand même !
– Il y a une énorme volupté à savoir qu’on appartient à quelqu’un, qu’on fait tout ce qu’il demande, et qu’on en réclame encore et encore…

Là, c’est moi qui marque une petite pause. Dubitative, j’écris :

– Si tu le dis…
– Donc Suétone t’a contactée, à ce que je crois comprendre.
– Oui… il me demande, en termes choisis, d’être sa soumise.
– En termes choisis, je le reconnais bien là ! Je vais te faire un topo : avant de faire quoi que ce soit, il va mettre au point ta charte. Tu sais ce que c’est, je présume ?
– Ne te fiche pas de moi, c’est le B.A.-BA !
– Bien. Et crois-moi, c’est un méticuleux et un fignoleur ! Et pas que dans ça ! C’est même un perfectionniste. Quelque part, je le regrette, même si parfois la spontanéité en souffre. Mais c’est le genre de type à prévoir un extincteur, même si tu allumes une simple bougie !
– OK, je vois le genre…
– Néanmoins, il sait ce qu’il fait et…
– Et ?
– Comment dire… je ne sais pas comment il fait son compte mais… on dirait qu’il sait lire dans tes pensées !
– Comment ça ?

Une autre légère pose avant que la réponse apparaisse :

– Il a l’art et la manière de te faire faire ce que tu souhaites tout bas et que tu n’oses pas exprimer… Enfin… tu vois ?
– Oui, je crois comprendre : Suétone anticipe tes désirs.
– C’est totalement ça. Je ne sais pas comment il fait, mais il le fait bien ! Ce qui n’est pas le cas de bien des Maîtres ! Ils te font subir ce qu’eux veulent… Et parfois, c’est pas ce que tu veux, toi !
– Une soumise, ça obéit, non ?
– Oui, c’est cela, oui ! Ne te fais pas plus bête que tu n’es ! Tu sais très bien que c’est un pacte : tu délègues à quelqu’un d’autre ce que toi tu n’oses pas faire de toi-même.
– Tu grimpes facilement à l’arbre, toi !
– Connais pas cette expression, mais je la comprends. Pff !
– Revenons à nos moutons. Pour toi, je ne pourrais pas mieux tomber.
– En un mot comme en cent : oui.
– OK, merci pour tout.
– Pas de quoi. Tiens-moi au courant…
– On verra, on verra !

Puis nous parlons d’autres choses. Un bon quart d’heure plus tard, je coupe la communication. Ça se bouscule dans ma tête. Je suis obligée de m’avouer que je tenterais bien au moins un petit essai, juste pour voir. Oh et puis zut, je me lance quand même ! Je prends ma messagerie et j’écris un petit message :

Je reconnais avoir été surprise par votre proposition. J’en ai même parlé à d’autres personnes. Soyons clair : je serais éventuellement tentée par un petit test pour commencer. Sans plus.

Je respire un bon coup et je clique sur le bouton  » Envoyer « . On verra ce qui se passera !

Le temps passe… Dehors, il ne fait pas très beau. Tant pis… Je consulte ici et là mes messages : toujours rien de Suétone. Quelque part, ça m’agace, cette dépendance ! Je retourne à mes affaires. Les heures passent, puis soudain, la réponse attendue :

Je vous remercie de m’avoir répondu. Il est tout à fait normal que vous vous soyez informée auprès d’autres personnes, notre domaine n’étant pas, hélas, sans risque. Entre un Maître et sa Soumise, c’est une relation de confiance et de respect. Vous désirez faire un  » bout d’essai  » ? Rien de plus naturel : on ne s’engage pas à la légère ainsi.

Maintenant, il nous faut discuter des modalités de la chose. Je reconnais que je suis tatillon, mais je préfère éviter au maximum les problèmes et les dérapages. C’est pourquoi j’aimerais que vous me remplissiez le plus honnêtement le petit questionnaire que vous trouverez en fichier joint. Ne soyez pas étonnée du nombre de questions et de leur nature parfois assez osée, mais j’aime savoir où je mets les pieds, et je présume qu’il en est de même pour vous. Dans l’attente de la réception de ce formulaire rempli…

Petit questionnaire ? Il y en a pour dix pages de questions ! Écrit en petit, en plus ! Soupir du Matin m’avait prévenue, mais je ne pensais pas que c’était à ce point. Je reconnais que c’est, quelque part, rassurant. Je prends mon courage à deux mains et je réponds. C’est vrai qu’il y a de ces questions ! Je ne sais même pas comment répondre à certaines !

Je remplis puis j’envoie. On verra bien… Il faudrait quand même que je m’inquiète un tantinet mais, curieusement, je n’y arrive pas. L’effet Suétone ? Qui sait ! Je pouffe de rire et je passe à autre chose.

Un autre message arrive :

Merci pour cette prompte réponse. Je vais consulter tout ça avec intérêt, immédiatement. Je vous contacterai d’ici deux jours, le temps que je dépouille le questionnaire. Je viens de songer au passage à une petite chose : accepteriez-vous que je tienne l’appareil photo lors de vos séances de pose ?

J’ai abrégé les formules de politesse du message. D’habitude, je m’en sors toute seule avec ma petite télécommande, même si je dois multiplier les poses pour être certaine d’avoir au moins un bon cliché. Néanmoins, il faut reconnaître que Suétone n’est pas mauvais en tant que photographe, au vu des photos parsemant son site et qui sont en général de lui, d’après ce qu’il en dit.

Une chose à la fois. La photo est une chose, le test en est une autre…

Deux jours. Nous serons alors à l’approche du week-end. Peut-être que c’est justement ce samedi-ci ou ce dimanche que… On verra, on verra, ne mettons pas la charrue avant les bœufs. Peut-être même qu’il ne voudra pas de moi quand il aura lu toutes mes réponses !

J’avais déjà une petite idée sur Suétone ; maintenant son profil, son physique se dessine de plus en plus. Pourtant, dans ses photos, on ne voit pas grand-chose. Mais je ne sais pas pourquoi, je vois distinctement son visage, son corps, tout…

Le lendemain, j’ai la surprise de recevoir de Suétone un message qui me demande des détails et éclaircissements sur diverses réponses que j’ai fournies. Oh oui, comme me l’avait dit Soupir du Matin, que ce Suétone est pointilleux ! Il n’a pas son pareil pour relever les incohérences de mes réponses et de dénicher le détail qui tue ! Je réponds à ses nouvelles questions, la chose m’amuse malgré tout. En retour, un email de remerciement. Il sait décidément y mettre les formes ! Je pouffe de rire en imaginant une scène de soumission dans laquelle il me dirait :

– Très chère, voulez-vous mettre en buse votre délicieux popotin que je lui applique une petite fessée, si cela ne vous dérange pas, comme il se doit !
– Oh non, très cher Maître, je suis tout à vous et fort aise d’être ainsi fessée par vos mains expertes !

Très dix-huitième siècle et très suranné !

C’est vendredi vers la fin de l’après-midi que je reçois sa réponse. En fichier joint, un document textuel contenant un pacte de soumission. J’ai beau lire et relire celui-ci, rien à y redire, c’est parfait. Quelque part, ça m’inquiète qu’un inconnu en sache si long sur moi-même et mes aspirations ! Il me demande d’imprimer ce texte et de le signer, puis de lui envoyer un scan du pacte. Il me propose ensuite différentes dates et heures pour une première rencontre, ainsi que trois propositions différentes quant aux modalités de cette rencontre. J’hésite un peu, puis je me décide pour demain en après-midi, avec l’option de simple rendez-vous en public pouvant éventuellement déboucher sur une première séance en privé chez lui, si le cœur m’en dit. Même si ce n’est pas très sécuritaire d’aller chez lui, je préfère ça à chez moi… Quelque part, ça me gêne ! Et puis, je parie que chez lui, il y a déjà tout ce qu’il faut… je ne serais même pas étonnée qu’il y ait un donjon complet avec tous les accessoires !

Samedi, bientôt seize heures trente, je suis nerveuse. Il y a de quoi ! Je tourne en rond dans le jardin public. Là-bas, l’endroit du rendez-vous, mais je me tiens toujours à distance. Il y a bien des hommes qui sont passés mais pas un seul n’est resté stationné. Mon Suétone m’aurait-il posé un lapin ou bien est-ce un retardataire ? Vu le genre, j’ai des doutes. Je m’apprête à regarder pour la vingtième fois ma montre quand j’entends une voix dans mon dos.

– Il est seize heures vingt-neuf, chère Symya…

Je me retourne prestement : il est là, tel que je me l’imaginais ! C’est fou quand même !

Je rougis. Je ne sais pas sur quel pied danser. Lui, tout naturellement, il me prend le bras puis se dirige vers la terrasse d’un salon de thé. Je le suis, comme hypnotisée. Peu après, il a commandé ce que je désirais alors que je n’avais pas ouvert la bouche à ce sujet. Là, je commence sérieusement à m’inquiéter de moi-même !

– Je me suis permis de passer commande. Vous étiez trop occupée à me dévisager…
– Ah… euh… je…

Là, je dois être cramoisie !

– Pas de souci, je suis ici avec vous pour que tout aille bien.
– Merci… mais… ça m’intrigue quand même !
– Vous vous dévoilez beaucoup sur votre site, et pas forcément que votre corps… Avec un peu de mémoire et de logique, on peut en déduire beaucoup de choses !
– Vous êtes un Hercule Poirot en quelque sorte…
– Si l’image vous plaît… mais, comme vous le constatez, je n’en ai pas tout à fait le physique !
– Je vous l’accorde sans problème !

C’est vrai que Suétone est un bel homme, c’est le moins que je puisse dire. Certaines femmes autour de nous lui jettent çà et là des regards intéressés. Je me dis alors que je suis finalement bien tombée. Même s’il ne se passe rien, je suis contente de la tournure des choses…

– La soumission est une chose qui peut être délicieuse si elle est partagée. Mais je suppose que je ne vous apprends rien à ce sujet.
– Vous avez une de ces façons de passer du coq à l’âne !
– N’est-ce pas ?

Il boit son café sur un sourire. Le soleil brille aujourd’hui alors qu’il n’a pas franchement fait beau de la semaine. Ce type met décidément tout de son côté ! Je croque mon morceau de tarte meringuée au citron, elle est bonne, très bonne ! Je me demande bien comment il savait pour ce petit péché de gourmandise… N’empêche que c’est bon ! Je ne vais tout de même pas me faire acheter ainsi, même si cette tarte est délicieuse ; je reprends la main :

– Vous aimez les pirouettes, non ?
– Je ne les déteste pas…
– J’ai cru comprendre… Vous avez quoi dans l’idée ?
– Rien de plus que ce que vous voulez, vous…
– C’est facile comme réponse, cher Suétone !
– Un pacte est un passe-droit qui permet au Maître d’exaucer les vœux profonds de sa Soumise…
– Je crois avoir déjà lu quelque chose du même genre dans vos mails…
– Il s’agit de la façon de voir les choses… À moins que vous ne préfériez qu’on vous les impose…
– Vous savez très bien ce que j’en pense !
– Alors, nous sommes d’accord…

Et comment voulez-vous répondre à ça ? Je commence à m’inquiéter un peu ; ce type vous manipule comme un rien ! C’est alors que me vient une évidence en tête : ce Suétone est une sorte de catalyseur ; en réalité, il convient à des femmes comme moi…

– Je vous trouve songeuse…
– Il y a de quoi, non ? Vous vous proposez, il y a quelques jours, d’être mon instructeur, et nous sommes tranquillement attablés ici, comme si de rien n’était !
– Oui, tranquillement… Pourquoi en serait-il autrement ?
– Une relation Dominant et Dominée, ce n’est pas un long fleuve tranquille, à ce que je sache !
– N’est-ce pas une de vos aspirations profondes ?
– Euh… oui… non… enfin…
– Donc, si c’est une de vos aspirations intimes, qui fait partie de vous, pourquoi devrions-nous nous en formaliser ?

Je soupire, cet homme n’est pas du genre à se… Oh zut, je ne trouve plus les mots ! Et puis, il est vrai que je ne suis pas sa première  » victime « , enfin, si  » victime  » il y a. Dans le pacte, il a même prévu trois mots spécifiques pour les différents modes de notre rapport. Le pire est que je n’ai rien eu à redire de ces mots-là.

Si je ne veux pas, c’est pourtant très simple : il me suffit soit de dire le mot de refus ou carrément de prendre la fuite. Mais voilà, je reste sur place à déguster ma tarte au citron, sachant pertinemment que je serai tôt ou tard le goûter du monsieur…

Et quelque chose me dit que je ne vais pas tarder à le suivre chez lui où je subirai ma première leçon… Subir est d’ailleurs un bien grand mot, vu l’état d’esprit où je suis !

La conversation, assez éclectique, roule sur tout, avec quand même un recentrage sur le thème Dominant-Dominée, ce qui est assez naturel, vu le contexte. Je passe néanmoins un bon moment, Suétone sachant parler de tout et de rien, et surtout avec intérêt. Quelque part, il me rappelle un certain Pierre Bellemare, homme de radio et de télévision hexagonal, capable de vous faire trouver un charme fou au bottin téléphonique…

– Je crois que c’est l’heure, ma chère Symya… dit-il en se levant.
– Ah ?

Je me retrouve toute bête, il me prend de court, surtout quand il me reprend par le bras. C’est ensemble que nous déambulons dans le jardin public, traversant sans vergogne les pelouses. Il marque un petit arrêt pour me dire d’une voix amusée :

– Déchaussez-vous, le contact de l’herbe vous fera le plus grand bien !
– Décidément, vous en savez un peu trop long pour moi !
– Je n’ai aucun mérite : vous l’avez écrit par trois fois sur vos pages…
– Vous avez de la mémoire !
– Je m’entretiens à ce niveau…
– Et pas qu’à ce niveau d’ailleurs… Voyez-vous, j’hésite à vous donner un âge exact : parfois, vous semblez avoir la trentaine mais votre vécu vous donne la cinquantaine.
– Et bien, coupez la poire en deux en choisissant la quarantaine.
– OK… c’est une façon de me dire que vous ne donnerez pas votre âge.
– J’ai l’âge qui vous convient… Une simple question : que diriez-vous d’un Maître plus jeune que vous ? Je pense que vous tiqueriez, non ?
– Exact… ça me gênerait !
– N’est-ce pas ? Ah, nous voici arrivés.

Une luxueuse berline aux vitres teintées s’arrête devant nous. Un chauffeur en sort et m’ouvre la portière ; je suis sidérée mais je m’assieds sur le siège en cuir. La voiture démarre, je me tourne vers mon hôte :

– Vous mettez le paquet ! C’est aussi écrit sur mes pages ?
– Vous le valez bien, non ? Et puis, si ça vous plaît…
– Mais ça doit vous coûter un maximum ! Et si je ne vous avais pas accompagné ?
– Laissez tomber le côté pécuniaire de la chose. Quant à votre autre question, c’était un risque à courir.
– Où va-t-on ?
– Justement, j’y viens.

Il me tend un masque opaque, en velours :

– Mettez ceci sur vos yeux…
– P-pourquoi ?
– Pour que vous ne sachiez pas où nous nous rendons…
– P-pourquoi ?
– Le charme de la chose. Ne vous inquiétez pas, les vitres sont teintées, on ne peut vous voir de l’extérieur. Idem pour le chauffeur, le même type de cloison nous sépare de lui et c’est insonore.
– Décidément, vous pensez à tout…
– J’essaye.

Je mets le masque sur mes yeux, le contact est doux, mais ça ne m’empêche pas de frémir un peu. Il pose sa main sur la mienne, une douce chaleur m’enrobe, je me sens bien, rassurée, malgré l’étrangeté de ma situation.

Nous roulons un certain temps, je ne saurais dire combien de minutes car il occupe mon esprit à me faire la conversation, et moi, j’y prends plaisir, ne me concentrant que sur sa voix. Un ralentissement assez net, des cailloux qui crissent sous les roues, une longue allée, une sorte de demi-tour et la voiture s’arrête. Suétone m’aide à sortir de la voiture, je sens les cailloux sous mes pieds puis les marches d’un escalier. Nous traversons des pièces ou des couloirs, un autre escalier, d’autres endroits indéterminés puis, enfin, nous nous arrêtons. Mon compagnon me lâche la main, j’entends une porte qui se ferme. Puis des doigts tout doux enlèvent mon masque, la lumière m’éblouit.

Je découvre un salon meublé à l’ancienne. Je n’y connais rien en style de décoration, mais c’est visiblement daté mais parfaitement restauré. C’est sobre, sans trop de fioritures.

– Style Directoire, me souffle mon hôte.
– On ne peut rien vous cacher, n’est-ce pas ?
– C’était flagrant que vous sembliez intriguée par la décoration de cette pièce.
– Directoire, c’est juste avant Napoléon, le style Empire ?
– Exactement. Un style néo-classique qui tentait de tourner définitivement le dos aux exubérances du baroque qui était trop connoté royauté, chose peu admise sous la Révolution…
– Merci de la précision…

Il me désigne une porte de placard mural :

– Derrière cette porte qui mène à une sorte de mini boudoir, vous trouverez ce qu’il faut pour vous changer. Ôtez tout ce que vous avez sur vous et habillez-vous avec ce que je vous ai prévu.
– Et vous m’avez prévu quoi ?
– Vous verrez… Je présume que vous vous souvenez des trois mots inscrits sur votre charte ? Je précise tout de suite que  » non  » ou  » je ne veux pas  » ne sont pas considérés comme valables. Ils font partie du  » jeu « .
– Je me souviens très bien de ces trois mots, comment pourrais-je les oublier ?
– Très bien ! Passez vous changer, tandis que je vous attends ici.

À ma grande surprise, j’obéis. J’ouvre la porte de ce que je croyais être un placard et j’entre dans une petite pièce faiblement éclairée par une lucarne fort haute. Une lampe électrique mais style Directoire – je pense – m’attend sur une table ronde, je l’allume. Ç’aurait été plus d’époque avec une bougie mais moins pratique… C’est alors que je découvre avec quoi je dois me vêtir : une longue robe blanche, quatre rubans, plus un moins grand, un rouge et trois bleus. Je suis surprise de cette robe en tulle ou en gaze, des souvenirs me reviennent sur cette époque lointaine. En effet, c’était la mode, une histoire de Merveilleuses et d’Incroyables… Enfin, si je ne me trompe pas…

Je me déshabille entièrement ; en moi, je me traite de folle d’accepter ça, mais je sais bien que, finalement, ça me plaît et que ça m’excite même ! Je revêts cette fine robe quasi transparente. Grâce à une reproduction d’époque posée sur la table, près de la lampe, je noue la ceinture rouge juste sous mes seins, puis, face à la glace, j’enserre mes cheveux dans les trois bandeaux bleus. Je me regarde face au miroir, je suis très surprise de ma nouvelle apparence ! Ça me va particulièrement bien ! Je n’aurais jamais cru que ça m’aille ainsi. Il est même malheureux que je ne puisse pas m’habiller de la sorte dans la vie de tous les jours ! Quoique… ce soit quand même assez transparent, cette robe en gaze ! Je me retourne alors et je découvre une paire de fins souliers. C’est presque sans surprise que j’enfile sans problème ces chaussures. Oui, il pense à tout… Soupir du Matin me l’avait dit, je le savais, mais ça surprend quand même…

Gênée, je reviens dans le grand salon.

– Savez-vous, chère Symya, que vous êtes magnifique ainsi ?
– Vous… vous le pensez vraiment ?

Il ne répond pas. Dans sa main, un petit appareil photo numérique. Avant que j’ouvre la bouche pour protester, il me vise. Sans se départir d’un calme souverain, il discute :

– Ça vous va à ravir ! Vous avez le port d’une Merveilleuse, voire même d’une Romaine.
– D’une Romaine ?
– La mode de cette époque s’était beaucoup inspirée de l’antiquité classique, celle du premier siècle. Une période que je connais d’ailleurs très bien.
– Avec un tel pseudo, Suétone, le contraire eut été étonnant !
– Je ne vous le fais pas dire ! Vous pouvez vous tourner sur la gauche ? Oui, comme ça, merci ! Bien !

Il continue à me mitrailler. Puis je passe devant une psyché, je réalise alors pleinement comment, en plein jour, je suis habillée ! Tout à l’heure, c’était dans une semi-obscurité, maintenant c’est très différent !

Cette robe est ultra vaporeuse, légère comme une toile d’araignée, et tout aussi transparente ! Elle ne cache pas grand-chose de mes formes, je dirais même que je suis plus nue que nue dedans, c’est assez troublant, d’autant plus que cela me va très bien, je n’y aurais jamais cru. Les rubans dans mes cheveux et sur mon corps harmonisent le tout en une autre femme, une femme qui aurait pu vivre il y a quelques siècles, une femme dans son élément.

– Fini ! Si vous voulez vous contempler sur petit écran plutôt que dans un miroir…
– Ah… euh…

Je rougis, il me tend l’appareil :

– La flèche vers la gauche pour voir toutes les autres photos…
– Toutes les autres photos ? Vous en avez pris tant que ça ?
– Pourquoi se limiter dans l’agréable ?

C’est à mon tour de ne rien répondre. Je découvre encore une autre moi-même sur le petit écran, une Symya très différente mais très sensuelle. Pourtant, je n’en suis pas à ma première image de mon corps, mais ici, c’est assez contraire à l’image que je projette dans mon blog. Une femme lointaine et si proche, cette robe aérienne qui lui va si bien, ses seins magnifiés, sa taille un peu ronde, ses hanches voluptueuses, et surtout ce regard si… lumineux !

Cette femme si impudique et si offerte…

– C’est moi, ça ?
– Oui, bien sûr. Vous vous êtes forgé votre propre idée de vous-même, passant à côté de votre moi profond.
– Mon moi profond ? Et vous vous proposez de me le révéler ?
– Si vous êtes d’accord, bien sûr. Je n’ai jamais forcé une femme dans cette voie. Vos photos, celles de votre blog, sont très belles. Incontestablement. Mais elles sont trop… lisses. Votre réalité profonde est plus… abrupte, escarpée.
– Abrupte ? Escarpée ? Je ne comprends pas…

Il tend la main, j’y glisse l’appareil photo qu’il met dans sa poche. Un large sourire :

– Vous en aurez copie par mail.
– Nous en étions à ma réalité profonde qui serait abrupte…
– Abrupte et escarpée, en effet. Je dois vous avouer que parfois les mots ne sont pas à la hauteur de ce qu’il y a à expliquer…
– Pas à la hauteur, venant de vous, ça m’étonne ! Vous êtes comme un poisson dans l’eau avec les mots !
– Vous me flattez, les mots ne sont qu’un simple aspect du monde qui nous entoure, de simples ombres, comme dans la caverne de Platon… Pour faire simple, vous avez en vous un énorme potentiel qui ne demande qu’à éclater au grand jour, une soif latente mais irrésistible d’être soumise, être à quelqu’un, entièrement.

Cette explication me scie littéralement ! Comme sonnée, je reprends :

– Comment ça ? Irrésistible ? Vous n’en rajoutez pas un peu sur les bords, là ? Franchement, je n’ai aucune envie d’être le toutou de quelqu’un ! Absolument pas ! Même si j’ai quelques penchants un peu… Non, absolument pas !
– Non, je sais ce que je dis, Symya. Même si, parfois, j’aimerais me tromper…
– Et je présume que vous vous proposez d’être mon Maître en la matière ? Afin de me révéler à moi-même ? Vous êtes gourou dans une secte ou quoi ?

Sans quitter son fin sourire, il s’assied dans le fauteuil qui trône au milieu du salon ancien. Il s’y installe même. Entre-temps, je réalise que je n’éprouve plus aucune gêne à être quasiment nue devant lui ! Adossé au dossier, les mains jointes, il explique :

– Il y a ce que vous êtes, ce que vous croyez être, ce que les autres croient de vous. Il y a aussi ce que vous pouvez devenir afin d’être totalement vous-même. Sans rentrer dans un cours de psychanalyse, l’être humain est composé de plusieurs strates, de plusieurs couches, que le niveau supérieur ignore parfois. Non qu’il le réfute, mais tout simplement qu’il ne sait même pas qu’il peut y avoir d’autres étages, d’autres sous-sols. Tout simplement…
– Dit comme ça, ça semble plausible.
– Tout comme est plausible que vous vous révéliez à vous-même, par et dans la soumission. Ça ne tient qu’à vous et vous seule. Moi, je ne suis qu’un simple catalyseur…
– Ah oui ?

Il se contente de sourire. Puis, d’un seul coup, son regard change, une nouvelle flamme étrange brille, quelque chose d’impérieux, de supérieur, qui me transcende littéralement !

– Venez !

Un ordre bref, dit courtoisement mais sans appel. Comme un automate, je m’exécute.

– Agenouillez-vous devant moi !
– Mais…

Mécaniquement, malgré moi, comme une simple marionnette entre ses doigts, je pose un premier genou au sol. Peu après, je suis agenouillée devant lui, attendant son prochain ordre. Il ne tarde pas :

– Posez votre tête sur mes genoux !

Lorsque ma joue effleure le tissu de son pantalon, je ressens comme une sorte de quiétude. Tandis que ma tête se pose définitivement, je ferme les yeux, je m’abandonne complètement. Je ressens alors une immense joie quand sa main caresse mes cheveux…

–ooOoo–
Je suis rentrée chez moi. Je me sens toute drôle, cette sensation d’avoir franchi une grande étape… comme si j’avais vécu toute ma vie au fond d’une vallée puis que j’avais décidé de grimper la montagne avoisinante ; découvrir de là-haut d’autres vallées, d’autres montagnes ; pouvoir grimper plus haut pour en découvrir plus encore ! Étrange mais grisante sensation !

Je ne comprends toujours pas comment j’ai pu m’agenouiller devant lui, comment j’ai pu poser ma tête ainsi sur ses genoux, à cette immense joie qui m’a irradiée quand il a caressé mes cheveux ! Non, je ne comprends toujours pas ! Ou bien, je ne veux pas comprendre…

Je jette un coup d’œil à mon ordinateur… Je le sens d’un seul coup dépassé : la réalité est tellement plus excitante que toute cette virtualité ! Je ne renie pas mes textes, je ne renie pas non plus mes photos, mais cela me semble bien puéril à présent.

Nue à travers mes voiles, sous son regard, je me sentais si bien. Fière qu’il me considère. Sa voix chaude qui dictait ce que j’avais à faire, ma joie d’obéir, tout ça, tout ce nouveau monde qui s’ouvre à moi.

–ooOoo–
Ça va faire quelques semaines que notre relation dure, ma pudeur à son égard est devenue lointaine. Je suis à présent presque allongée sur un grand tapis de laine épaisse, un feuillet en main, sanglée dans un vêtement improbable fait de lanières de cuir brun qui m’enserre la taille et le cou ; il sépare bien mes seins dévoilés. Ces mêmes sangles convergent vers mon entrejambe qu’elles recouvrent à peine. Je suis pour ainsi dire nue, ou presque. Cependant, mes cheveux sont retenus par un entrelacs complexe de rubans, formant une sorte de chignon à l’antique. Mon Maître est assis dans un fauteuil ; il lit, je suis quasiment à ses pieds, telle une chatte ou une chienne. Une laisse, faite de fins maillons, nous relie. Le temps s’écoule doucement, à pas feutrés, je déguste ces instants suspendus.

De temps en temps, il me parle, je bois ses paroles, sa voix est si douce. Je me sens bien. Parfois, je joue avec les maillons qui m’enchaînent à mon Maître, il sourit, me parle, j’écoute, ravie d’être avec lui.

À présent, il regarde par la fenêtre, il semble suivre des yeux le vol d’un oiseau par-dessus les arbres. Puis il se tourne vers moi qui suis toujours à demi allongée sur le tapis de laine. Il s’assied dans le fauteuil qui est tout proche de moi ; je pose ma tête sur ses genoux, il caresse mes cheveux. Puis sa voix douce remplit l’espace :

– Les sonorités du latin sont éloquentes… Cette langue est à la fois martiale et douce, une main de fer dans un gant de velours… D’ailleurs, mon propre pseudo a été forgé dans cette langue : Magister + Arbiter, souvenir de certaines lectures… Une bien belle langue suave et cinglante…
– Je ne peux rien en dire, Maître, je n’ai jamais fait de latin de ma vie. Tout ce que j’en connais, c’est par les pages roses du dictionnaire, quelques expressions, genre  » tu quoque, mi fili  » et  » cogito, ego sum « . C’est faible…
– Tu quoque, fili mi ou  » mi fili « , on trouve les deux variantes. Beaucoup d’érudits pensent que César aurait plutôt dit  » Kai su, teknon « , employant ainsi, sous le coup de la surprise, la langue de son enfance, le grec.
– Mais… Jules César était un Romain, non ?
– Oui, un Romain à 100 % et fier de l’être, mais à cette époque, les enfants des Grands de Rome étaient éduqués en grec, la langue de l’érudition par excellence. Mais tout ceci nous éloigne du propos initial. Le latin étant une langue assez compliquée dans ses déclinaisons et ses conjugaisons, sans parler de mille points de détail peu faciles, je vous demande donc d’en apprendre une version simplifiée afin que vous m’obéissiez dans cette langue qui sera la nôtre, uniquement pour nous deux.

Je tourne ma tête vers son visage :

– Je ne comprends pas bien, Maître…
– Je suis votre Maître et j’entends vous donner mes ordres en latin. Dans une variante de latin qui vous soit accessible, et dans laquelle vous me répondrez.
– Vous désirez que je sois votre esclave comme dans l’antiquité ?
– Il y a de ça, comme si nous étions hors du temps, dans notre univers, notre sphère personnelle.
– Bien, Maître, j’obéirai avec joie ! Mais comment apprendre ?
– Nous irons doucement et vous verrez, vous parlerez très vite. De plus, nous n’avons pas besoin d’un vocabulaire très étendu. Quelques centaines de mots, à peine deux cents, qui seront fort proches du français ou de l’espagnol que vous connaissez déjà un peu.

Puis nous avons parlé d’autres choses, et surtout fait de nouvelles choses auxquelles j’ai obéi avec allégresse. Dès le lendemain, j’ai reçu une première liste de mots à apprendre, ainsi que quelques indications grammaticales. J’ai fait quelques recherches de mon côté, sur le web mais aussi dans mon grenier. J’ai retrouvé un vieux livre, un abrégé de grammaire latine ; c’est vrai que ce n’est pas une langue facile ! J’apprends de moi-même à conjuguer les verbes au présent : amo, amas, amat, amamus, amatis, amant. Je ne sais pas où cela nous mènera mais ça donne du piquant !

–ooOoo–
La nuit tombe, la chaleur de l’été m’enveloppe. Je suis nue dans le jardin, mis à part quelques colliers et bracelets. Je pose mon verre sur un muret, le goût du cocktail était un peu amer. La pelouse drue chatouille mes orteils. Mon Maître m’intime de m’asseoir sur le gazon. Quelques brins d’herbe titillent mon entrejambe, la sensation est curieuse mais pas désagréable. Je me demande s’il n’y a pas trop de fourmis, ou pire, d’autres bébêtes qui grouillent par ici, mais j’oublie vite cette pensée quand il vient vers moi. Il est beau dans sa chemise blanche ouverte !

Il se glisse derrière moi, je ne le vois plus. Je sens un collier dur entourer mon cou, puis une grosse chaîne froide sur mon dos ; je frissonne. Le soir tombe de plus en plus, j’entends divers bruits au lointain. Mon maître visse quelque chose dans la pelouse puis y attache ma laisse. Je le regarde sans rien dire, ni même esquisser un mouvement. Il vient vers moi, il s’incline puis délicatement, il pose un léger baiser sur le bout de mon nez :

– Bona nox, Serva mea ! [bonne nuit]
– Bona nocta ibidem, Dominus meus ! [bonne nuit de même –  » nuit  » a été simplifié]

Il sourit en entendant ma simplification, le fait que je respecte à la lettre ses instructions, puis il part : je vais passer la nuit ici, dehors. Je frissonne un peu malgré moi. Je m’allonge sur le gazon, il me faut dormir, c’est ce que désire mon Maître. Les bruits s’atténuent, le calme revient, une légère brise, je sens mes paupières devenir de plus en plus lourdes, c’est curieux ! Pourtant, il y a moins d’un quart d’heure, j’étais en pleine forme. Je sens que je vais bientôt m’endormir. Irrésistiblement.
Je me sens bien, dormir ici, telle la chienne de son Maître, veiller près de lui, dehors, sous les étoiles… Veiller… Dormir…

Dormir…

Il fait plus chaud, c’est étrange, je devrais être dehors… Ma main sent une laine épaisse sous mes doigts, j’ouvre un œil, puis l’autre : je suis à présent dans le salon, j’ai même une couverture sur moi. J’ai toujours mon collier mais la chaîne a disparu, elle est peut-être restée dans le jardin. Je suis flattée que mon Maître se soit préoccupé de moi ainsi, sa Soumise ! Est-ce que je le méritais vraiment ?

Je me lève, toujours aussi nue. Je prends avec moi la couverture. Je traverse le salon pour aller rejoindre sa chambre. Il dort, je le regarde, je le contemple. Sa respiration est si calme, il est si beau ainsi. Agenouillée, je le contemple quelques minutes puis je me relève. J’avise son peignoir de bain, j’en extirpe la ceinture que j’attache au pied du lit puis à l’anneau de mon collier. Je me love sur la descente de lit, enveloppée de ma couverture, et je m’endors tout de suite : je suis enfin si proche de mon Maître !

Au petit matin, mon Maître me réveille. Il me dit qu’il est heureux que j’aie pris cette initiative et qu’il m’en félicite ; je me sens toute chose et si fière d’avoir fait ainsi plaisir à mon si particulier précepteur. Je file ensuite à la cuisine préparer le petit déjeuner, j’ai aussi appris qu’il ne fallait pas le négliger, alors je m’applique.

Quand tout est prêt, je viens quérir mon Maître. Je vois sa silhouette se détacher à contre-jour de la fenêtre aux lourdes tentures. Ça me fait comme un choc de la voir ainsi, je ne saurais dire comment et pourquoi.

Il se retourne alors vers moi, sa robe de chambre est ouverte sur son corps à peine couvert. Son torse est si viril, si protecteur ! Mes yeux descendent plus bas, sous la ceinture négligemment nouée. Avec une certaine convoitise, j’observe ce qu’il offre à mon regard, cette chose si douce dans ma bouche, si dure dans mon sexe, si souple dans mes mains…

J’irais bien me servir, le prendre tout de suite en main ou en bouche, mais quelque chose dans son regard me dit d’attendre. Il passe devant moi, je le suis. Il s’installe à la table, il contemple ce que j’ai pu préparer. Nous mangeons, il me parle de tout et de rien, j’écoute. Je vais pour me servir un second verre de jus d’orange quand il m’arrête :

– Auriez-vous encore soif ? me demande-t-il dans notre latin de convention.
– Si, Magister !
– Alors, passez sous la table, venez entre mes jambes boire ma liqueur ! J’en ai plus qu’il en faut pour étancher votre soif ! répond-il en français, avec une pointe d’accent faussement aristocratique.
– Oui, Maître !

Et ravie, je passe sous la table, je m’agenouille entre ses jambes, face à la chaise, sa tige de chair est déjà bien grosse, elle palpite même ! J’ai un petit pincement au cœur de fébrilité quand j’ouvre la bouche pour accueillir un gland odorant. L’instant d’après, mes lèvres se referment sur mon objet de convoitise que je suce avec délectation. Je m’applique tant et si bien que peu après, je reçois ma récompense sous forme de salves épaisses et chaudes qui explosent dans ma bouche !

C’est vrai que c’est autre chose qu’un jus d’orange en consistance et en satisfaction ! Je recommencerais bien chaque matin…

–ooOoo–
Mon apprentissage avec mon Maître est à présent achevé. J’aurais cru que je serais toujours restée avec lui, à le servir, mais je dois reconnaître que je suis prête à passer l’étape suivante, et ce n’est pas avec Suétone que je pourrais continuer mon chemin dans la voie de la Soumission, avec un grand  » S.  » : j’ai besoin de quelque chose de plus fort, d’un Maître plus exigeant.

J’ai compris que ma vie était de servir, de me sentir tout entière sous la coupe d’un Maître autoritaire, tyrannique même. Oui, je veux qu’il me commande, qu’il me dirige, qu’il soit mon soleil, de vivre par ses yeux, par ses dires, me décharger de toute initiative, d’être son jouet, sa chose. Parce que je le souhaite ardemment du fond de mon cœur, parce que chaque fibre de mon corps le réclame.

Peu importe si je ne suis pas sa seule soumise, peu importe si j’aurai à m’avilir pour qu’il me remarque, pour que je sois, une fois de temps en temps, sous ses yeux. Je m’agenouillerai devant lui, je réclamerai ses mains, son sexe en moi, son sperme au plus profond de mes entrailles, ce don qu’il me fait, ce martinet qui est la preuve de notre attachement, ce fouet qui est la preuve de notre union…

Oui, je veux tout ça !

La porte s’ouvre, Suétone entre. Sanglée dans ces ceintures de cuir noir, dans ces hautes bottes, je me lève. Il me montre la porte d’un geste à peine esquissé, je passe devant lui, j’entends sa douce voix :

– Vous êtes sûre de vous ?
– Oui, j’en suis sûre, c’est mon destin…
– Destin… quel étrange mot…

La porte est là devant moi, elle me semble si lumineuse dans cette pièce sombre. Une voix rude m’apostrophe, je frémis. J’adore ce frisson qui m’angoisse et me transporte en même temps. Je sais que mon nouveau Maître sera très dur, je sais aussi que je deviendrai vite sa favorite.

Alors, corps et âme, je franchis la porte…

Ce contenu a été publié dans Histoires, Récits, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

4 réponses à Serva tua sum par Patrik

  1. Sapristi dit :

    Quel charabia dérisoire !

  2. Rose dit :

    Tout ça pour ça : Quel ennui ! Et déjà ce titre incompréhensible, belle marque de cuistrerie !

  3. Stephen dit :

    S’il faut avoir fait du latin pour lire un texte érotique maintenant…

  4. omnibus dit :

    Te vocabo et prandebimus, consedasne ? (On se téléphone et on se fait une bouffe. OK ?)

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *