Condamnation d’un hermaphrodite au XVIIIe siècle

Condamnation d’un hermaphrodite
au XVIIIe siècle
(D’après « Collection de décisions nouvelles et de notions
relatives à la jurisprudence » (Tome 9), paru en 1790)

Texte_sans_signature

Au début du XVIIe siècle, un jeune hermaphrodite ayant choisi le sexe masculin qui dominait en lui, fut convaincu d’avoir usé de l’autre sexe. Par arrêt du parlement de Paris, de 1603, il fut condamné à être pendu puis brûlé.

A la fin du même siècle, le médecin de l’hôpital de Toulouse ayant trouvé une personne hermaphrodite, connue sous le nom de Marguerite Malaure, dans laquelle le sexe masculin paraissait dominer, quoiqu’elle eût jusqu’alors porté l’habit de fille, on lui enjoignit de porter un habit d’homme, après avoir consulté les vicaires généraux. Cinq ans plus tard, ayant été trouvée vêtue d’un habit de fille, elle fut punie de prison. Enfin, par une ordonnance des capitouls de Toulouse, du 21 juillet 1691, il lui fut enjoint de se nommer Arnaud Malaure, et de s’habiller en homme, avec défense de prendre le nom et l’habit de femme, à peine du fouet.

Du mariage de Jean-Baptiste Grandjean et de Claudine Cordier naquit en 1732, à Grenoble, un enfant baptisé sous le nom d’Anne, fille de Jean-Baptiste. A peine parvenue à sa quatorzième année, un instinct de plaisir la rapprochait sans cesse de ses compagnes ; la préférence des hommes, au contraire, la rendait froide et tranquille. La Grandjean, par le conseil de son confesseur, et du consentement de son père, quitta les habits de fille pour prendre les habits d’homme. Elle épousa même en 1761 Françoise Lambert, le mariage étant précédé de trois publications de bans, et célébré avec les formalités ordinaires. Il paraît que le père de la Grandjean donna son approbation à ce mariage ; que même en l’émancipant, il lui donna dans l’acte d’émancipation, le nom de Jean-Baptiste, que la Grandjean porta toujours depuis.

Mais une nommée Legrand, que Grandjean avait connue à Grenoble et avec laquelle il avait pris des familiarités, eut occasion de voir à Lyon la femme de Grandjean à laquelle elle fit part de son étonnement concernant ce mariage eu égard au caractère hermaphrodite de son époux. Ce discours surprit Françoise Lambert, elle fit des réflexions sur la stérilité de son union, et son confesseur lui conseilla de n’avoir plus de familiarité avec son mari.

La nouvelle divulguée par la Legrand frappa les oreilles du substitut du procureur-général de Lyon, qui rendit plainte contre cet individu. Des témoins furent entendus ; l’accusé visité ; les chirurgiens, dans leur procès-verbal, après avoir rendu compte de ce qu’ils avaient trouvé appartenir au sexe masculin, curent devoir attester que le sexe prédominant de Grandjean, était celui de femme.

Sa description, telle qu’on la trouve dans le mémoire rédigé à cette occasion, révèle que tout l’ensemble de la Grandjean paraissait être un mélange des deux sexes dans la même imperfection. Nous apprenons que cet hermaphrodite avait de la gorge plus qu’un homme n’en a communément, mais qu’elle n’était point délicate, ni sensible aux coups. Ses mamelons, si l’on consultait leur grosseur, appartenaient au sexe féminin, mais on n’y voyait point ce cercle d’un rouge obscur au milieu duquel ils se trouvent placés chez les femmes ; sa voix était celle d’un enfant mâle qui arrive dans l’adolescence, et qui dans une espèce d’enrouement, rend des sons, tantôt graves, tantôt aigus.

Grandjean fut interrogé et mis dans un cachot les fers aux pieds. Enfin sentence intervint à Lyon, qui condamna l’accusé à être attaché au carcan pendant trois jours avec cet écriteau, profanateur du sacrement de mariage, à être fouetté par la main du bourreau et au bannissement à perpétuité. Sur l’appel interjeté par Grandjean, il fut transféré dans la conciergerie et mis au secret. Me Vermeil entreprit sa défense, et dans un mémoire aussi décent que curieux, établit que l’accusé étant dans la bonne foi, il n’y avait point eu de profanation du sacrement de mariage, et conséquemment point de délit.

Il termina par observer que le jugement prononcé contre Grandjean, rapproché du temps où les Romains encore barbares jetaient les hermaphrodites à la mer, eût été plus facile à justifier ; mais que les Français étaient gouvernés par des lois fondées sur l’humanité et la justice, l’accusé ayant donc tout lieu d’attendre de la cour un arrêt qui le déchargeât de l’opprobre et lui rendît la liberté.

Le succès couronna les efforts du défenseur de Grandjean : et par un arrêt rendu en la Tournelle, au rapport de M. de Glatigny, le jeudi 10 janvier 1765, la sentence fut infirmée, quant aux peines prononcées contre Anne Grandjean : le mariage fut déclaré nul et abusif, et la Grandjean tenue de reprendre l’habit de femme, avec défense de hanter Françoise Lambert, et de contracter aucun mariage.

L’illustration en haut : Hermaphrodite gallo-romain du Musée d’Epinal

Costume d’hermaphrodite (fin du XVIe, début du XVIIe siècle)
Costume d’hermaphrodite
(fin du XVIe, début du XVIIe siècle)

Ce contenu a été publié dans Textes divers, avec comme mot(s)-clé(s) , . Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Condamnation d’un hermaphrodite au XVIIIe siècle

  1. Gatsy dit :

    Je suis inesperé. Vous avez vraiment augmenté le bar avec cela.

Répondre à Gatsy Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *